L’économie sociale, qui se situe entre le secteur privé et le secteur public, est à l’origine du développement des entreprises sociales telle que Groupe Innova (http://www.collectioninnova.com/fr/groupe-innova.aspx). Cette dernière oscille entre un but entrepreneurial (produire et vendre des vêtements adaptés) et un but de réinsertion professionnelle auprès de personnes ayant un problème de santé mentale.
Dans le cadre de cet article, j’explorerai le parcours de rétablissement de six travailleuses à l’emploi de Groupe Innova et ayant un problème de santé mentale.
Je m’attarderai également aux perceptions des travailleuses quant à leur expérience au sein de Groupe Innova.
Je vous invite donc à découvrir certains membres de notre équipe et la richesse de leur vécu !
Le problème de santé mentale
À priori, les six travailleuses sont maintenant stables au niveau psychique mais ont dû néanmoins composer avec différents troubles de santé mentale : chocs psychotiques, dépressions, schizophrénie et trouble anxieux.
Les problèmes de santé mentale sont apparus en raison d’une variété de facteurs : hérédité et prédispositions génétiques, sensibilité au stress, privation de nourriture, isolement, dépendance aux drogues et contexte de violence conjugale.
Les symptômes
Lors de leurs épisodes de détresse, les participantes ont fait l’expérience d’une variété de symptômes : des idées de grandeur « Je sauvais le monde », des hallucinations « J’entendais des voix » et des idées délirantes « Mon père venait me visiter et je lui disais qu’il n’était pas mon père. » Une participante n’a pas vécu d’épisodes psychotiques mais elle est aux prises avec de l’anxiété sur une base continue.
Le nombre d’épisodes vécus est variable d’une personne à l’autre, mais la plupart ont vécu un ou deux épisodes. La gravité des épisodes va de léger à sévère.
Toutes les femmes interviewées prennent de façon régulière une médication à long terme.
À ce jour, on constate une certaine hétérogénéité au niveau des symptômes résiduels. Alors qu’une participante n’a plus de symptômes, d’autres doivent composer avec des déficits cognitifs (problèmes de mémoire et de concentration), de l’anxiété, un trouble obsessif-compulsif (répéter des actions, comportements compulsifs). Une participante rapporte des symptômes de type paranoïde mais qui ne sont pas envahissants outre mesure « J’ai peur que les gens ne m’aiment pas ».
Les habiletés fonctionnelles
Chez la plupart des participantes, le problème de santé mentale limite les habiletés fonctionnelles, et ce à différents degrés. Ainsi, une participante souligne que son diagnostic restreint ses habiletés cognitives et son attention partagée (multitâches) et qu’elle est plus isolée depuis le problème de santé mentale. Une seconde participante considère qu’elle a plus de difficultés à se faire des amis depuis la maladie.
Au niveau du travail, le problème de santé mentale a des répercussions importantes auprès des participantes : incapacité d’intégrer le marché régulier du travail, incapacité à démarrer son entreprise, longue période de chômage. D’autres répercussions ont été citées : baisse de l’estime de soi, difficulté à s’affirmer et difficulté à rencontrer un partenaire.
Deuils
Nul doute, le fait d’avoir un problème de santé mentale a amené les participantes à faire des deuils : deuil du marché régulier du travail, deuil d’avoir une bonne relation avec sa famille, deuil de la mémoire, deuil de voyager à long terme et deuil d’avoir des enfants. Une participante affirme qu’elle a fait le deuil d’être une personne ayant un mode de vie complètement libre, c’est-à-dire une personne qui ne travaille pas et qui fait de l’art toute la journée : « En ayant la schizophrénie, je dois avoir une routine, un travail, sans quoi je redeviendrais malade. »
Lorsqu’on demande aux participantes ce que leur vécu en santé mentale leur a appris sur elles-mêmes, plusieurs mentionnent leur grande force et leur capacité à traverser n’importe quelle épreuve. Le propos suivant exprime bien cette idée : « Si j’ai survécu jusqu’ici c’est que je suis une femme forte. » Une autre participante réalise qu’elle est une personne bien et qu’elle en fait assez « Si j’avais un tatouage, j’aimerais que ça soit Just enough. »
Rétablissement des participantes
Le soutien social
Le soutien social est un élément crucial dans le rétablissement des participantes. Que ce soient des parents soutenants et qui croient en elle, un pair-aidant dans un organisme, les médias sociaux, leur mari, leurs enfants, la fratrie, des amis, le voisinage, des figures significatives au travail, toutes les femmes interviewées ont eu besoin d’un filet social pour s’en sortir.
Néanmoins, pour deux participantes, le noyau familial a été source de grandes tensions, ce qui a nécessité de prendre une distance vis-à-vis de certains membres.
La très grande majorité des participantes ont bénéficié et continuent de profiter du soutien d’intervenants et de professionnels de la santé. Quatre participantes sur six consultent un psychiatre, tandis que les deux autres voient un médecin de famille. La moitié des participantes ont un suivi avec une travailleuse sociale.
Une participante souligne l’apport positif de son suivi antérieur en ergothérapie : « L’ergothérapeute me donnait plus confiance en moi. Elle m’a donné une stratégie pour que je n’aie pas envie de répéter mes gestes. »
Une autre participante mentionne qu’une infirmière a joué un rôle décisif dans son rétablissement : « Elle me prenait dans un local et à chaque soir qu’elle travaillait, on parlait ensemble. C’est là que j’ai commencé à plus verbaliser mes problèmes. »
Certaines participantes reçoivent également du soutien d’intervenants dans leur milieu de vie.
Les organismes communautaires et les thérapies
La contribution des organismes communautaires dans le processus de rétablissement des participantes est substantielle. Par exemple, une femme interviewée raconte comment le fait d’avoir effectué une démarche dans un centre de connaissance de soi lui a permis de mieux se connaître, d’avoir des outils pour mieux communiquer et d’être en groupe avec des personnes comme elle.
Les participantes ont reçu de l’aide d’organismes communautaires en santé mentale, de groupes de soutien pour dépendances, d’une maison d’hébergement pour femmes violentées de même qu’un centre des femmes. Une participante a effectué plusieurs thérapies, notamment la thérapie cognitivo-comportementale, un programme sur la gestion des émotions et un cours sur les relations humaines.
Cette dernière participante témoigne que : « Les thérapies ne m’ont pas appris à voir le verre à moitié plein (être toujours positif). Elles ne m’ont pas appris à voir le verre à moitié vide (être négatif), mais à voir le verre à moitié (être positif mais se donner le droit d’être négatif). »
Les activités significatives
Prendre part à des activités significatives aide les participantes à surmonter leur problème de santé mentale. C’est ainsi que l’écriture permet à certaines participantes de prendre du recul par rapport à ce qu’elles vivent : « Mon journal intime me donne des indices que je suis peut-être plus fragile. » Pour une autre participante, c’est la traduction qui est un passe-temps significatif.
Certaines femmes interviewées ont mentionné que le fait de cuisiner de bons repas les maintient dans un état d’équilibre : « Je me suis rétablie principalement par la cuisine. Ricardo m’a beaucoup aidé parce que ses recettes sont simples. »
Les participantes ont identifié les activités suivantes comme étant particulièrement aidantes : les arts, la méditation, l’utilisation de la technologie (tablette, jeux vidéo, télévision), écouter des humoristes, le tricot et la couture. À cet effet, une participante raconte : « Pendant mon internement, j’ai commencé à faire de la couture et ma santé mentale est devenue meilleure. Ça peut paraître cliché mais coudre des vêtements m’a vraiment sauvée. »
La spiritualité
Toutes les femmes interviewées considèrent que la spiritualité contribue à leur rétablissement. La spiritualité permet en effet de réduire les inquiétudes, de supporter la souffrance et de donner un sens à la vie.
Les citations qui suivent montrent l’importance de la spiritualité lorsqu’on est utilisateur de services en santé mentale : « Je crois qu’il y a quelque chose en haut qui nous aide » ou encore « La spiritualité me fait du bien. Je parle à ma grand-mère décédée. Mon père l’a peinte et j’ai le cadre dans ma chambre avec le crucifix. Je demande à ma grand-mère de m’aider. »
D’autres participantes expriment leurs croyances ainsi : « Je n’adhère pas à une religion en tant que telle mais j’aime beaucoup penser à la spiritualité. » ou encore « Je prie beaucoup. Je porte mon Jésus sur moi et, à la maison, j’ai une feuille où s’est inscrit que Jésus est le maître de ma maison et qu’il est mon sauveur. » Enfin, une participante témoigne : « Il y a une place, la chapelle de la réparation, où on va moi et mon mari, c’est comme un chemin de croix. Quand on entre là, on oublie tous nos problèmes. »
Les rêves et les aspirations
Les rêves des participantes s’inscrivent dans la continuité : « continuer la traduction du blogue, rester dans ma famille d’accueil et conserver mon travail chez Collection Innova jusqu’à la retraite. » La moitié des participantes expriment le désir de faire un voyage dans le futur. Deux participantes aimeraient accomplir des projets qui les mèneraient à l’extérieur de leur zone de confort : créer sa ligne de vêtements et étudier à l’Université.
Les femmes interrogées possèdent plusieurs forces qui les ont aidées à se rétablir : la persévérance et la détermination, la créativité, le sens de l’humour de même que le fait d’être travaillante, joviale et sociable.
Le marché du travail
Avant d’être embauchées chez Groupe Innova, la majorité des participantes ont occupé des emplois variés, certaines ayant occupé de nombreux emplois. Or, le maintien en emploi a souvent été de courte ou moyenne durée (moins de 4 ans). Deux participantes ont éprouvé des difficultés à travailler sur le marché régulier de l’emploi.
Une autre participante n’a pas travaillé pendant une longue période mais elle a ensuite participé à différents programmes qui l’ont aidée à se réinsérer professionnellement. Notons que plusieurs participantes ont fait appel à l’Arrimage, un service d’aide à l’emploi, pour intégrer Groupe Innova.
Groupe Innova
Selon les participantes, Groupe Innova est une entreprise ayant une excellente ambiance de travail et qui offre une atmosphère d’empowerment: « Tout le monde est tout le temps de bonne humeur. Avant, j’avais de la misère à sourire. Maintenant ça va. » ou encore « Les gens sont géniaux et gentils. C’est la plus belle équipe avec laquelle j’ai travaillé. Les gens se parlent, se complimentent, on a tout un peu le même point de vue politique, un peu de gauche. » Une autre participante abonde dans le même sens : « C’est vraiment un bon emploi. C’est l’emploi rêvé. » et une autre d’ajouter « C’est une approche humaine, sans compétition. On fait chacun notre affaire et on s’aide mutuellement. »
Un lieu de socialisation
Groupe Innova est un lieu de socialisation qui permet de créer des liens et de se faire des amis : « J’ai réussi à créer des liens qui font que je me sens importante. Pas que je me sens prétentieuse, je sens que j’ai de l’importance pour des gens. Ça ne remplace pas une famille mais ici je me sens bien. J’ai trouvé ma place ici. »
Développer des habiletés
C’est une entreprise qui permet de développer des habiletés. Les citations qui suivent expriment bien cette idée : « Je travaille mes habiletés manuelles. Il y a un côté zen à couper des fils. » ou encore « Je deviens meilleure couturière. Je gagne de la rapidité. »
Accommodements
En tant qu’entreprise sociale, Groupe Innova met en place des accommodements et des adaptations qui tiennent compte de la réalité des utilisateurs de services en santé mentale. Ainsi, l’employeur n’hésite pas à adapter les tâches ou à proposer des postes sur mesure. Un accommodement particulièrement significatif est le fait qu’il y a moins de pression que sur le marché régulier du travail : « C’est un endroit qui accepte que j’aie eu une maladie mentale. Si je faisais un autre épisode, c’est un endroit qui comprendrait. » ou encore « Quand je suis arrivée ici et que j’avais de la misère à apprendre des choses, je pleurais tout le temps. On me disait que je devais prendre le temps d’apprendre. » Une autre participante souligne cette flexibilité : « J’ai un jour ouvrable de libre, donc je profite de cette journée pour recevoir mon injection ou faire des commissions. »
Défis
Groupe Innova est ainsi un milieu adapté mais qui offre en même temps des défis selon les capacités des travailleurs : « C’est du travail en ligne, c’est de la répétition mais je ne fais pas la même chose depuis six mois. » Une autre participante mentionne : « Il y a beaucoup d’ouverture à ce qu’on apprenne de nouvelles choses. »
Confiance en soi
Les participantes s’entendent pour dire que l’entreprise contribue à rehausser leur confiance en soi : « Puisqu’ils [les patrons] ont confiance en moi, ça me donne confiance en moi. » ou encore « Le fait qu’ils [les patrons] me donnaient toujours plus de responsabilités a augmenté ma confiance en moi. »
Travailler avec des collègues ayant un problème de santé mentale
La majorité des travailleuses sont à l’aise de travailler avec d’autres personnes ayant des problèmes de santé mentale : « Je trouve ça rassurant de travailler avec d’autres personnes qui ont des troubles de santé mentale, car lorsque tu es la seule personne qui a des troubles de santé mentale, tu es un peu mis à l’écart. » Une autre participante affirme : « Ça ne me dérange pas. Pourvu que ce ne soit pas un fou violent. En Haïti, on appelle ça un fou doux. On aime les fous doux. » Par ailleurs, une femme interrogée exprime qu’elle a toujours une petite peur : « Tu ne sais jamais comment les gens vont réagir. J’ai peur que quelqu’un tombe en déséquilibre. Je ne saurais pas quoi faire ni à qui demander de l’aide. »
Conditions de travail
Globalement, les participantes se disent satisfaites de leurs conditions de travail. Cependant, le salaire est un enjeu qui préoccupe une participante : « On gagne le salaire minimum. Ce n’est pas beaucoup quand on a une famille. Moi je suis chanceuse car nous avons deux salaires qui rentrent à la maison. Mais ceux qui ont un seul salaire, je ne sais pas comment ils font pour arriver. Ils doivent se priver beaucoup. » Une seconde participante aimerait pouvoir travailler 40 heures par semaine afin d’augmenter son salaire. Le fait qu’il n’y ait pas d’assurances en cas de maladie a également été rapporté.
En conclusion: parcours de rétablissement
D’après les entrevues réalisées, il va sans dire que la maladie mentale cause bien des remous. Elle provoque dans certains cas des symptômes résiduels qui limitent les habiletés fonctionnelles. Elle exige de faire des deuils à un âge relativement jeune. Pour s’en sortir, les femmes interrogées ont dû déployer une immense force intérieure. Certainement, la médication au long cours contribue à la stabilité psychique des participantes, mais pas que.
Les trajectoires des participantes révèlent que le soutien social, le soutien des professionnels de la santé, les organismes communautaires, l’accomplissement d’activités significatives, la spiritualité et l’utilisation de ses atouts mènent aussi au rétablissement.
Chose certaine, pour permettre une expérience professionnelle gratifiante et favoriser le maintien en emploi des personnes ayant un problème de santé mentale, il importe de créer des milieux de travail tolérants, tel que chez Groupe Innova. Des milieux où il y a une réelle cohésion sociale et qui offrent un juste équilibre entre défis et accommodements.
Je tiens à remercier les six participantes pour leur grande générosité et leur ouverture à se dévoiler dans toute leur vulnérabilité.
je tiens à dire qu’en cette journée Internationale des Femmes, je trouve ces femmes extraordinairement courageuses et je remercie l’autrice de ce blogue de avoir fait connaître le quotidiens de ces femmes.
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