Les personnes ayant nouvellement immigrées au Québec subissent d’importantes transformations de leur environnement social. C’est le cas notamment de plusieurs employés du réseau de la santé qui s’occupent de nos aînés et qui sont issus de la diversité culturelle.
Ces néo-québécois ont dû quitter leur réseau social et leur milieu de vie, ce qui a des conséquences certaines sur leur santé psychologique.
Tout cela dans un contexte où la santé mentale est encore taboue dans la plupart des communautés immigrantes.
Dans cet article, je donne la parole à trois immigrants concernant leur histoire d’immigration. Tout d’abord, deux jeunes immigrants de première génération, l’un du Maroc, et la seconde ayant grandi au Bénin. Et une immigrante de deuxième génération originaire de Haïti, dont le parcours migratoire diffère des deux autres participants.
Je parlerai du Québec comme terre d’accueil, des motifs entourant le processus migratoire et des pertes liées au déracinement. Après, je vous parlerai des différences culturelles entre le Québec (société dite individualiste) et les pays d’origine des participants (sociétés communautaires). Je discuterai aussi des facilitateurs et obstacles à l’intégration, de l’identité et de la santé psychologique des participants.
Vous êtes prêt ?
On y va.
Ah, le Québec !
Les participants ont choisi de s’établir spécifiquement au Québec puisque la langue d’usage est le français : « Le français est ma deuxième langue après l’arabe, donc ça facilite mon intégration ».
Deux participants ont choisi le Québec plutôt que la France, car il y a, selon eux, moins de racisme envers les personnes arabes et les africains. Le Québec symbolise pour eux le respect des droits humains, la liberté, l’ouverture d’esprit et le fait de vivre en paix. Ils affirment que s’ils te connaissent, les québécois sont des gens accueillants, gentils et qui aiment les étrangers.
Pour l’immigrante de deuxième génération , sa mère était d’avis que le Québec permettait d’offrir un avenir meilleur à ses enfants. Cette dernière avait aussi des amis déjà installés au Canada.
Immigrer au Québec, ok, mais pourquoi ?
Deux participantes ont immigré au Québec dans le but de faire de bonnes études et d’avoir un avenir professionnel prometteur.
Pour un participant, c’est le choc du décès de sa mère qui a précipité son départ pour le Canada. Outre cet événement dévastateur dans sa vie, ce participant critique le manque de respect des droits humains au Maroc comparativement au Canada. Bien qu’il avait un bon emploi et un bon salaire dans son pays d’origine, il était critique de la mentalité des gens de sa collectivité :
« On ne vit pas comme des humains, c’est la loi de la jungle, la loi du plus fort. Je veux juste vivre comme un humain ».
Ce qu’ils ont perdu en quittant leur pays
En quittant leur pays d’origine, les immigrants de première génération ont dû quitter leur famille et amis. Ainsi, puisqu’ils ont toute une vie sociale à reconstruire, ils vivent de la solitude.
Une participante est également nostalgique de l’attitude chaleureuse des béninois : « Quel que soit l’endroit où tu es, on t’appelle ma fille, mon enfant. » Elle ajoute que la nourriture est meilleure qu’ici et très réconfortante : « Chez moi, à n’importe quelle heure de la nuit, tu peux manger, il y a des femmes sur le bord de la route. Elles font de bons repas chauds et épicés. »
Pour l’immigrante de deuxième génération, il y a eu le deuil de la famille élargie, mais elle a eu la chance de rester aux côtés de sa famille proche, ayant immigré dans l’enfance dans un contexte de réunification familiale.
Les différences culturelles
Deux participants ont mentionné que l’une des différences culturelles les plus importantes entre leur pays d’origine et le Québec est la façon de s’occuper des personnes âgées lorsque celles-ci atteignent un âge avancé : « Si je vivais au Maroc et que mon père serait vieux, jamais je ne le placerais dans un CHSLD ». Au Maroc, c’est toute la famille qui s’occupe de la personne âgée ou malade. Lorsque les parents âgés sont au pris avec plus de limitations, ils vont vivre avec leurs enfants.
Une autre participante, cette fois d’origine haïtienne, abonde dans le même sens : « Les vieux, c’est comme la sagesse, il y a un grand respect. Donc on les garde auprès de nous parce que ce sont des gens qui ont du vécu, qui peuvent nous conseiller. Alors qu’au Québec, dès qu’on atteint un certain âge, c’est comme si tu as une date de péremption. »
Outre la proximité avec les aînés lorsque ceux-ci vieillissent, un participant trouve qu’il y a plus de tissu social au Maroc qu’au Québec. Il remarque qu’au Maroc, les voisins sont comme des amis ou des membres de la famille. De plus, les amitiés naissent facilement : « Même si tu ne connais pas quelqu’un, tu échanges et rigole avec la personne. »
D’autre part, l’immigrante de deuxième génération est d’avis que le rapport à l’autorité est très différent en Haïti par rapport au Québec. En Haïti, il faut toujours vouvoyer les professeurs, alors qu’au Québec, les élèves sont plus familiers et emploient le « tu ». Lorsqu’elle est arrivée au Québec, cette participante était étonnée de voir un élève contredire un professeur, puisqu’en Haïti, l’enseignant est roi et maître.
Les sociétés dites individualistes versus communautaires
Peu importe notre origine, il semble que l’expérience humaine soit universelle. Nous avons tous les mêmes besoins fondamentaux : les besoins physiologiques, la sécurité, les besoins sociaux, l’estime de soi et l’accomplissement personnel. Et chaque société dans le monde a développé des moyens différents pour répondre aux besoins de ses citoyens.
Dans les sociétés communautaires (comme le Maroc, le Bénin et Haïti), le filet de sécurité est davantage assuré par la famille et les proches. Les liens avec les oncles, tantes ou cousins sont si forts que ceux-ci peuvent être considérés comme des pères et mères.
Dans les sociétés dites individualistes (comme le Québec), le filet de sécurité provient davantage du gouvernement, des structures étatiques et institutionnelles.
Un tissu social fort provenant de la famille est un avantage certain quand vient le temps de répondre aux besoins affectifs de la personne. Par ailleurs, lorsque la personne âgée devient très malade et que sa problématique s’alourdit, le soutien des institutions s’avère également aidant.
Ce qui facilite l’intégration
Le fait de comprendre et de s’exprimer en français est, sans contredit, le facteur le plus important à l’intégration des immigrants au Québec. D’ailleurs, les trois participants ont choisi de s’établir au Québec en raison de la langue. L’emploi et le bénévolat sont aussi des facilitateurs à l’intégration. Ils permettent de socialiser, de s’affirmer et donnent confiance en soi.
Ce qui nuit à l’intégration
Selon un participant, la réforme du Programme de l’expérience québécoise (PEQ), entrée en vigueur en 2020, nuit à l’intégration des immigrants.
Notons que le PEQ s’adresse aux étudiants étrangers ou aux travailleurs étrangers temporaires. Il permet d’obtenir un certificat de sélection du Québec dans le but de s’établir au Québec de façon permanente.
Ainsi, cette réforme controversée a pour effet d’augmenter les délais pour l’obtention de la résidence permanente. D’après l’Institut de la statistique du Québec, les délais pour les demandes de résidences permanentes au Québec sont beaucoup plus longs que dans les autres provinces canadiennes. Les délais administratifs pour cette démarche peuvent prendre jusqu’à 37 mois au Québec, soit un peu plus de trois ans. Dans les autres provinces, le temps d’attente varie entre 6 et 28 mois. La réforme du PEQ n’a pas été modifiée depuis.
L’identité
Au niveau identitaire, il est intéressant de constater que les immigrants de première génération se considèrent avant tout « béninoise » et « marocain ». Seule l’immigrante de deuxième génération se dit « québécoise ». En outre, puisque cette dernière a longtemps travaillé dans le domaine du développement international en Afrique de l’Ouest, elle admet s’adapter aisément aux différentes cultures.
La santé psychologique
Au niveau de la santé mentale, il y a une nette différence entre les immigrants de première génération et l’immigrante de deuxième génération. Alors que cette dernière jouit d’une bonne santé psychologique et d’une bonne qualité de vie, les immigrants de première génération vivent plus de difficultés, notamment de l’anxiété et des états dépressifs. Une participante exprime bien cette idée :
« La plupart du temps, c’est difficile, je suis épuisée (car elle est prise entre les études et le travail). Je n’ai pas d’amis, je suis juste enfermée dans ma chambre. Il y a des semaines où je n’ai envie de rien faire. J’ai juste envie de rester couchée pendant toute une semaine. Il y a des petits états dépressifs comme ça. C’est ici que j’ai connu ce qu’est la dépression. »
Il semble y avoir une corrélation entre cet état dépressif et l’isolement. En ce sens, l’intégration de cette participante via des membres de la communauté africaine pourrait l’aider à créer des liens en toute sécurité. En contrepartie, cette « ghettoïsation ethnique » pourrait limiter l’intégration avec des membres de la société d’accueil.
Quant à l’immigrante de deuxième génération, elle bénéficie d’une très bonne qualité de vie :
« J’ai développé un bon réseau professionnel. On peut échanger sur le travail et aussi être amis en dehors du travail. Je gagne bien ma vie, j’habite une belle maison, j’ai un bon confort matériel. »
Outre l’emploi et l’habitation, avoir une bonne qualité de vie réfère également aux liens sociaux, à l’éducation, à l’environnement, à l’engagement dans sa communauté, à la santé, au sentiment de sécurité et à l’équilibre occupationnel.
Qu’est-ce qui pourrait aider les immigrants de première génération ?
- Des groupes de soutien entre étudiants étrangers, via notamment des organismes communautaires pour immigrants, seraient une avenue intéressante pour contrer l’isolement.
- Des jumelages entre immigrants et québécois.
- Faire du bénévolat pour s’intégrer dans la communauté.
- Faire une activité de loisirs qui permet de socialiser (ex. danse, chorale).
- Mariage mixte ou avoir un conjoint québécois.
- Utiliser des sites de réseautage social comme des groupes Facebook (ex. sorties entre elles, groupe entre voisins, etc.) ou meetup.com.
- Applications pour se faire des amis (ex. We3).
- Groupes d’activités (ex. rando Québec, cuisines collectives, etc.).
- Banque d’échanges communautaires de services (ex. Becs).
Et selon vous, quelles autres solutions voyez-vous pour que les immigrants de première génération élargissent leur réseau social, et puissent ainsi mieux s’ancrer à la société québécoise ?
Bravo pour ces témoignages concrets!
Très bien écrit. J’aime la fin de l’article qui se termine par un questionnement et l’exposition de plusieurs solutions concrètes possibles.