Jiro fait depuis plus de quatre-vingts ans des sushis tous les jours dans un petit restaurant de sushis dans le métro de Ginza au Japon. Il se rend personnellement au marché au poisson avec son fils et ils choisissent le meilleur pour le restaurant. Jiro et son fils sont des artisans de la nourriture. Ils se laissent porter par le « flow » en cuisinant, ils ne s’ennuient pas. Ils apprécient leur travail au plus haut point. Pour eux, c’est un pur bonheur, c’est leur ikigai.

 

Ils ont appris à considérer ainsi leur travail, à en faire un plaisir qui suspend le temps. Même après avoir vu leur restaurant élu par le guide Michelin meilleur restaurant de sushis au monde, ils n’ont jamais cherché à ouvrir d’autres établissements ou à se développer. La famille Jiro place au-dessus de l’intérêt économique sa qualité de vie et un environnement dans lequel elle peut se laisser aller au « flow » en cuisinant, en produisant les meilleurs sushis du monde.

 

Jiro et son fils ont ainsi un ikigai très bien défini.

 

 

Un ikigai…c’est quoi ?

 

Ikigai est un concept holistique japonais qui signifie « raison d’être ». « iki » signifie vie alors que « gai » signifie valeur.

 

Dans la culture d’Okinawa au Japon, l’ikigai est perçu comme une raison de se lever le matin et une façon de contribuer à la société. C’est quand on a quelque chose de fort en soi et qu’on désire le transmettre. Cela procure une grande motivation intrinsèque.

 

Dans la culture japonaise, avoir un but vital est si important qu’ils ne connaissent pas notre concept de retraite.

 

L’ikigai se situe au carrefour de quatre éléments : 1) ce que vous aimez ou votre passion ; 2) ce dont le monde a besoin ; 3) ce dans quoi vous êtes naturellement bon et talentueux ; 4) ce pour quoi vous pouvez être récompensé. C’est une conception différente de celle des pays occidentaux, où la vie professionnelle s’oppose aux loisirs.

 

 

L’ikigai est propre à chaque individu, et peut se reformuler à plusieurs reprises au fil du temps.

 

 

Les effets de l’ikigai

 

Développer un sens du but équilibre et enrichie la vie. Au contraire, un vide existentiel apparaît quand le sens de la vie fait défaut. À ce moment, on tente de combler ce vide par un pouvoir économique, un plaisir physique ou un engourdissement mental.

 

C’est pourquoi avoir une raison d’être est essentielle. Elle prolongerait la longévité et aiderait à rester en bonne santé (protégerait du stress et de la maladie). L’ikigai est l’une des raisons qui expliquerait la grande longévité des personnes d’Okinawa au Japon (c’est là où il y a le plus de centenaires au monde). Ceux-ci ressentent moins le désir de prendre leur retraite, ils continuent de travailler tant qu’ils sont en santé.

 

Une autre caractéristique commune à tous ceux qui possèdent un ikigai bien défini est leur résilience. Ils s’accrochent à leur passion quoi qu’il arrive. Quand ils ont des revers dans la vie, quand les obstacles se multiplient, ils ne se rendent jamais. Ils continuent à se battre, envers et contre tout.

 

 

 

Le « flow » …une composante de l’ikigai

 

Lorsqu’une personne pratique son ikigai, elle est plongée dans un état de « flow ». C’est-à-dire qu’elle est absorbée par ce qu’elle fait et seule l’activité semble lui importer. La personne ignore totalement son environnement en appréciant la tâche à accomplir et tout en éprouvant du plaisir en la faisant.

 

Se concentrer sur une seule activité est peut-être la condition la plus importante pour entrer dans le « flow ». Et pour être concentré sur une activité, nous avons besoin d’être dans un environnement propice qui ne nous distraie pas. Nous avons aussi besoin d’exercer à tout moment un contrôle sur ce que nous faisons.

 

Enfin, d’après le chercheur Owen Schaffer, pour que nous puissions entrer dans un état de « flow » lors d’une activité, les conditions suivantes doivent être réunies : 1) Savoir quoi faire ; 2) Savoir comment le faire ; 3) Savoir si nous le faisons bien ; 4) Assumer une tâche que nous pouvons mener à bien, mais qui en même temps excède légèrement nos compétences ; 5) Utiliser nos meilleures ressources personnelles ; 6) Ne pas s’adonner aux distractions.

 

 

L’exemple d’Hayao Miyazaki

 

Le japonais Hayao Miyazaki est un créateur ayant aussi un ikigai très défini. Réalisateur de films d’animation oscarisé, il se laisse porter par le « flow », par la tâche présente. Il ne possède pas d’ordinateur, il continue à utiliser un téléphone portable de la fin des années 90 et oblige toute son équipe à dessiner à la main. Il « tourne » ses films en créant et en dessinant jusqu’au dernier détail sur le papier. C’est le dessin qui lui permet d’entrer dans le « flow », pas les ordinateurs.

 

Grâce à la passion et à la rigueur du réalisateur, le studio de Hayao est l’un des seuls au monde où presque tout le processus de production de l’animation se fait selon les techniques traditionnelles. Sa passion est telle qu’il est souvent au studio les dimanches, profitant du « flow », vivant son ikigai avant tout.

 

 

Hayao ne put s’arrêter de dessiner. Un an après sa « retraite », il déclara qu’il ne ferait plus de longs métrages, mais qu’il « dessinerait jusqu’au jour de sa mort ».

 

L’exemple de Steve Jobs

 

L’américain Steve Jobs, créateur de l’entreprise Apple, représente un succès dans le domaine des technologies. Il semble qu’il n’était pas passionné outre-mesure par l’informatique. Il était plutôt passionné par les outils permettant d’exprimer sa créativité. Il semble que ce soit sa curiosité et son intérêt pour la calligraphie qui l’aient inspiré dans sa création d’Apple et de sa typographie unique.

 

 

Des ikigai modestes

 

Les ikigai de Jiro, Hayao Miyazaki, Steve Jobs leur permette (ou leur ont permis) de briller et de connaître le succès. Néanmoins, l’ikigai peut aussi entraîner des résultats plus modestes, en autant que la personne vive pleinement le processus :

 

« Je cultive mes légumes et je les cuisine, c’est mon ikigai. »

 

 

Ou encore :

 

« Retrouver mes amis est mon ikigai le plus important. Ici, nous nous réunissons tous et nous parlons, c’est très important. Je pense toujours à la fois suivante, quand nous allons nous retrouver, c’est ce que j’aime le plus dans la vie. »

 

 

En conclusion : trouver son ikigai

 

Somme toute, trouver son ikigai requiert une profonde exploration de soi, de ses passions, de ses intérêts et de ses valeurs. Cela demande courage, détermination et persévérance. Pour trouver son ikigai, il faut surmonter ses peurs, sa négativité et ses préoccupations. Il faut poser des actions concrètes afin d’améliorer sa confiance en soi. Et aussi essayer de voir les obstacles comme des opportunités.

 

À un niveau plus global, il importe de repenser l’économie pour que chacun puisse vivre son ikigai, et ce à tous les âges de la vie. Cela sous-entend moins mettre l’accent sur la croissance financière et se demander comment l’économie peut être plus bénéfique pour les gens et la planète.