Dimanche. Martin visite sa mère.
Celle-ci s’agite à côté de son mari et de son fils. Les mains moites, le front humide, la mère de Martin raconte qu’elle a vu des fantômes chez elle.
« Es-tu sûre que c’était des fantômes maman ? » dit Martin.
« J’ai l’impression que oui, mais je ne suis pas sûre » répond sa mère.
Martin ne peut que constater l’indécision de sa mère. L’anxiété de cette dernière est palpable.
Elle ajoute : « L’autre jour, j’ai joué à quatre pattes avec mon médecin… »
« T’es sûre de ça maman ? dit Martin, un brin découragé.
– Oui, c’était spécial.
Cette fois, ne sachant plus quoi répondre, Martin se voit contraint de rendre les armes.
Impuissant, il quitte la pièce, laissant sortir le trop plein d’émotions.
Et vous, les maladies neurocognitives, vous connaissez ?
Aidants, proches, professionnels de la santé, je vous partage ici l’expérience de Martin, notre directeur chez Groupe Innova.
Pour en finir avec les tabous, expliquer les défis de l’aidant et créer un mouvement de solidarité.
La maladie
Depuis un an et demi, la mère de Martin est atteinte d’une démence. Les médecins hésitent entre une démence à corps de Lewis et une démence Alzheimer.
Elle a des symptômes à la fois psychotiques et anxiodépressifs. En outre, s’adapter à la nouveauté représente un défi pour elle depuis le diagnostic :
« Elle avait une auto à l’époque. Si elle avait un rendez-vous quelque part, il fallait qu’elle fasse le chemin avec mon père avant d’y aller. »
À cela s’ajoute une orientation dans le temps déficitaire, des troubles de la mémoire et du langage. Il semble aussi que son état se détériore très rapidement.
Le quotidien
Ainsi, la mère de Martin accomplit de plus en plus difficilement ses activités de la vie quotidienne.
Par exemple, elle peut avoir de la difficulté à composer un numéro de téléphone, utiliser la télévision ou le robinet du bain.
Puisqu’elle perd en autonomie et que tout devient une montagne, elle appelle beaucoup Martin, chose qu’elle ne faisait pas avant sa maladie.
Par le passé, la mère de Martin était une femme très active. Elle s’adonnait au Tai Chi et allait voir des expositions avec des amis. À présent, elle ne fait que prendre des marches avec Martin, la sœur de ce dernier ou une employée qui l’aide à prendre son bain.
L’aide apportée par Martin et la sœur de ce dernier
Martin et sa sœur ont des rôles distincts dans la prise en charge de leur mère.
La sœur de Martin s’occupe avant tout de la communication avec les médecins. Au début, elle a eu de la difficulté à avoir accès au dossier médical pour des motifs de confidentialité. Or, lorsque le médecin de famille de la mère de Martin s’est aperçu de la gravité de la situation, les proches ont pu s’impliquer dans le dossier.
Quant à Martin, il s’occupe de l’aspect monétaire et des transactions bancaires de même que de tout ce qui relève de la gestion (ex. vente de l’auto).
Au niveau du futur placement en institution, Martin et sa sœur s’y impliquent tous les deux.
Un système de santé en difficulté
Non seulement Martin doit faire face à la maladie de sa mère, mais il est de surcroît confronté à un système de santé qui connaît des ratés. Il est d’avis que les intervenants sont de bonne foi mais il manque de personnel pour offrir les services. Et parmi ceux qui aident sa mère, certains manquent de professionnalisme (ex. ne sonnent pas avant d’entrer) ou connaissent mal le dit système. La citation qui suit reflète bien la désorganisation du réseau de la santé :
« Une fois, ma mère s’est mêlée avec sa dosette. Alors le CLSC a fait venir quelqu’un pour lui donner sa pilule deux fois par jour. Mais on ne comprenait pas parce qu’elle ne recevait pas son somnifère. Il a fallu plusieurs téléphones pour comprendre qu’il y a trois périodes dans une journée (matin, soir, avant de se coucher). Il fallait en réalité que ma mère soit dans les périodes deux et trois. De sorte que quand ils viennent à 18h, il faut lui donner toutes ses pilules, y compris le somnifère. Le protocole était donc incorrect au départ. Est-ce l’erreur du CLSC? De la pharmacie? »
Les difficultés d’être proche aidant
Pour Martin, être proche aidant devient lourd avec le temps. Il exprime aimer beaucoup ses parents mais ne ressent pas le besoin de les voir tout le temps. Or, la maladie de sa mère fait en sorte que le cocon familial est beaucoup plus proche.
La fatigue s’installe donc insidieusement. Martin fait en moyenne deux ou trois démarches par semaine, avec en plus son travail qui est demandant. À chaque dimanche, il va voir sa mère. Il trouve difficile de ne pas pouvoir faire des activités de détente ou de loisirs avec elle. Il doit constamment gérer :
« Bon, c’est quoi qui ne marche pas? As-tu pris tes pilules? »
Quoi qu’il en soit, cette lourdeur lui demande de poser des limites vis-à-vis de ses proches. Par exemple, Martin exprime clairement qu’il ne va jamais laisser tomber son emploi pour s’occuper de sa mère. Mais il se sent déchiré et coupable puisque c’est sa mère qui ne va pas bien.
En fait, la maladie de sa mère lui fait vivre un deuil qui s’étire.
« C’est des vagues qui viennent et qui passent. »
D’autre part, Martin dit qu’il doit s’habituer au fait que c’est maintenant lui qui prend soin de sa mère plutôt que le contraire.
« J’ai de très beaux souvenirs quand j’avais 6 ans avec ma mère. Elle était merveilleuse, elle m’amenait n’importe où, on avait du fun. C’était la femme de ma vie. Je ne voulais pas aller à la maternelle. Dernièrement, ma mère m’a dit, Martin, on s’entend tellement bien, s’il n’y avait pas tout ça, on serait toujours ensemble. Son émotion c’était comme mon émotion quand j’avais 6 ans. »
La transition vers une ressource d’hébergement
D’après Martin, le placement dans une ressource d’hébergement devrait être positif pour sa mère car il sent que celle-ci est anxieuse à son domicile.
Mais bien sûr, il y a aussi une part d’incertitude. Le bien-être de sa mère dépend dans une large mesure du futur lieu de résidence : CHSLD et maison Alzheimer ont été évoqués. Une maison Alzheimer (https://www.lapresse.ca/actualites/sante/201803/01/01-5155693-un-nouveau-concept-de-maison-alzheimer-au-quebec.php), un concept hollandais, accueille des résidents atteints de cette maladie dans un environnement à la fois souple et encadré. Martin et sa sœur ont à cœur de trouver le meilleur milieu de vie possible à leur mère.
Lorsque cette dernière aura déménagée, Martin compte la visiter souvent, mais il ne sera plus obligé d’aller la voir systématiquement tous les dimanches.
« Il y a un petit côté libérateur. »
Les ressources pour proches aidants
Jusqu’à maintenant, Martin et sa sœur utilisent des ressources « plus traditionnelles » comme les médecins et les professionnels de la santé. Ils ne font pas appel à des organismes spécifiques pour les aidants. Il est cependant plausible qu’ils les consultent plus tard, en sachant que le plus compliqué est parfois de comprendre comment toutes ces ressources fonctionnent.
Le travail
Martin considère que son travail est adapté à sa réalité de proche aidant.
« J’ai une liberté. Dans mon cas spécifique, je peux déplacer ma charge de travail sans avoir à le demander. J’ai une flexibilité dans mon emploi, je peux travailler le soir. »
Il nuance toutefois son propos en affirmant que ce ne sont pas tous les emplois qui sont flexibles.
Il souligne également qu’il a une bonne charge de travail, et que conséquemment, il y a un nombre limité d’heures qu’il peut consacrer à son rôle d’aidant (environ une douzaine d’heures).
Enfin, il constate que le système de santé est davantage adapté pour le personnel soignant que pour les proches aidants.
« Tu parles au médecin quand le médecin est disponible. Et il n’est pas disponible souvent. Les intervenants sont complètement débordés. Le système est rendu chaotique. »
Le soutien économique pour aidant
Ni Martin ni sa sœur n’ont demandé de soutien financier gouvernemental pour aidant puisque leurs revenus respectifs n’ont pas été affectés. Or, ce choix pourrait être reconsidéré advenant que la sœur de Martin travaille une journée de moins par semaine pour s’occuper de sa mère.
Le soutien dans l’entourage
À l’heure actuelle, Martin se sent supporté par sa sœur, sa conjointe et sa tante. Sa sœur étant plutôt réactive et lui plutôt calme, les deux se complètent bien. Quant à sa tante (https://blogchicchezvous.com/2021/05/03/proches-aidantes-au-front/), elle est une grande aide parce qu’elle est très à l’écoute. Elle met les choses en perspectives. Elle comprend Martin puisqu’elle est elle-même aidante.
« On connecte tout de suite. C’est une femme de cœur, sans flafla. »
Conseils pour surmonter les défis de l’aidant
Et si, comme pour Martin, la vie exigeait que vous deveniez aidant, que feriez-vous?
Conseil # 1
Qu’on se le dise, les maladies neurocognitives, c’est chiant!
Mais ne cessez pas de vous former et de lire à leur sujet. Soyez curieux. Maîtrisez-les à fond.
Plus vous aurez acquis de connaissances sur la maladie, plus vous serez capable d’apporter un regard nouveau sur l’expérience que vous vivez.
Et plus vous pourrez sensibiliser la population à cette cause.
Conseil # 2
Entourez-vous.
Frappez à la porte de membres de votre famille, de vos amis, de collègues compréhensifs, de personnes qui vivent une situation semblable.
Prenez le temps de bâtir un bon réseau de soutien autour de vous et consolidez-le. Misez sur des environnements tolérants.
Tout ce soutien social diminuera votre stress.
Conseil # 3
Être proche aidant, c’est un peu comme être danseur.
Il vous faut aider votre proche, tout en prenant soin de vous-même. C’est un mouvement continuel entre ces deux pôles.
Il n’y a pas de recettes miracles. Vous devez continuellement vous repositionner avec le plus de fluidité et de flexibilité possible.
Cela signifie aider, tout en déléguant vos tâches avec l’entourage et en posant vos limites.
Alors, que pensez-vous de ces conseils? Dites-moi en commentaires s’ils sont ou seraient applicables dans votre cas?
Merci à Martin d’avoir généreusement partagé son expérience d’aidant.
Merci pour cet article qui nous place face à une dure réalité, mais tout à fait réaliste. L’auteure (et non l’autrice) nous donne des conseils pour faire face à cette épreuve : déléguer à d’autres personnes autour de nous, établir nos limites, bien s’entourer, être flexible, fluide et savoir danser avec la situation.
En lisant l’article, j’ai constaté qu’on peut demander une aide financière au gouvernement, mais où s’adresser exactement ? Je ne saurais pas où m’adresser pour ça. Est-ce une subvention ?
Le soutien financier c’est en fait des crédits d’impôt. Donc il faut s’informer auprès d’un comptable. Au Canada, il y a aussi des prestations de compassion. Pour en savoir plus à ce sujet, vous pouvez contacter l’Agence de revenu du Canada (ARC).