La voix des hommes sans enfants qui vieillissent a besoin d’être entendue. J’ai constaté que la documentation sur Internet porte surtout sur les femmes, mais qu’en est-il des hommes qui auraient voulu être père ?

 

Dans cet article, je m’attarde aux parcours de trois hommes sans enfants de 55 ans et plus.

 

Je mets en lumière leur vécu, leurs peurs, leurs doutes et leurs joies.

 

Je vous invite donc à explorer avec moi ce filon. Car c’est bien de cela qu’il s’agit. Un filon d’expériences uniques et non-conformistes.

 

Bonne exploration !

 

 

Pourquoi ne pas être devenu père ?

 

Les raisons qui expliquent que les participants ne sont pas devenus pères sont multiples.

 

Un premier participant affirme que c’est en raison de son orientation sexuelle et de la négation de celle-ci dans le contexte de son époque :

 

« À l’époque [dans les années 80], quand tu étais gay, avoir des enfants n’était pas une perspective envisageable. À moins d’être vraiment courageux et déterminé. »

 

S’il avait dix-sept ans aujourd’hui, devenir père ferait partie de son plan de vie. Il avoue se sentir un peu jaloux lorsqu’il voit les jeunes couples gays d’aujourd’hui qui adoptent des enfants ou qui font appel à des mères porteuses.

 

Un second participant considère qu’il n’est pas devenu père par choix et par circonstances de la vie. En effet, il a été en couple avec des femmes qui ne voulaient pas ou ne pouvaient pas avoir d’enfants.

 

« Pour moi l’amour c’était plus important qu’avoir des enfants, l’amour d’une compagne. Si tu ne veux pas d’enfants, c’est pas un critère. Quand tu restes dix ans avec une personne qui ne veut pas d’enfants, c’est un besoin que tu as mis de côté. »

 

Le diagnostic de maladie bipolaire de ce participant l’a aussi fait hésiter à avoir des enfants.

 

Le troisième participant s’est marié jeune et les problèmes médicaux de sa femme ont empêché le couple d’avoir des enfants.

 

« Dieu ne nous a pas permis d’avoir des enfants, pourquoi adopter ? »

 

Ce participant craignait aussi d’adopter puisque des amis de ses parents ont connu de mauvaises expériences. Les filles adoptées, lorsqu’elles sont devenues majeures, ont demandé qu’on leur rende leurs possessions et leurs avoirs et elles sont parties.

 

 

La pression sociale de fonder une famille

 

Un participant a ressenti une pression de devoir fonder une famille et encore plus la pression d’être hétérosexuel.

 

« J’ai été élevé comme un bon Gino Camaro, un macho. Mon père voulait faire de moi un petit joueur de hockey bien standard. J’ai été élevé dans ce modèle-là. Moi-même, étant jeune, je n’étais pas particulièrement gentil avec les gars trop efféminés. Ils me bousculaient bien trop, ils me dérangeaient. »   

 

Un second participant exprime qu’il n’a pas ressenti de pression familiale : « Si tu es en amour, c’est ça qui est important. » Et en tant que baby-boomers, il considérait que bien d’autres personnes n’avaient pas d’enfants. La pression venait plus du travail et de l’église catholique lorsqu’il s’impliquait en pastorale sociale.   

 

« Mais la pression, c’était comme sur le dos d’un canard. Je suis un non-conformiste. J’avais une réponse toute faite. Ma femme et moi on est un petit peu trop vieux pour ça. »

 

 

Le deuil d’avoir un enfant

 

Deux participants ont dû faire le deuil d’avoir des enfants.

 

Un participant souligne que le fait d’avoir effectué une thérapie pour accepter son orientation sexuelle l’a aidé à accepter le fait de ne pas avoir d’enfants.

 

Un second participant affirme que le fait d’avoir immigré au Canada l’a aidé à faire son deuil : « C’est comme si on a recommencé une autre vie. »

 

Pour le troisième participant, ce n’était pas tant un deuil parce que c’est devenu de plus en plus un choix.

 

 

Les avantages de ne pas avoir d’enfants

 

Selon deux participants, ne pas avoir d’enfants diminue les contraintes quotidiennes.

 

Cela diminue aussi la complexité relationnelle qui peut s’instaurer entre un enfant et son parent.

 

Ne pas avoir d’enfants implique de pouvoir plus penser à soi, d’être plus libre, de pouvoir plus s’engager dans sa carrière. D’avoir la possibilité de se gâter davantage au niveau monétaire et d’avoir moins de sources d’inquiétude. C’est aussi disposer de plus de temps pour d’autres occupations : s’occuper de ses parents vieillissants, travailler pour l’entreprise de son conjoint, organiser des événements pour hommes gays ou encore faire les tâches domestiques.

 

Un troisième participant affirme également avoir été plus disponible dans sa vie professionnelle et, actuellement, il prend le temps de cuisiner des repas à sa femme qui travaille : « Je suis comme l’homme à la maison. »

 

 

Les inconvénients de ne pas avoir d’enfants

 

En contrepartie, selon un participant, ne pas avoir d’enfant enlève du sens à la vie.

 

« Avoir des enfants met beaucoup de sens dans une vie. Quand tu n’as pas d’enfants, tu dois te concentrer sur autre chose. Tu dois te sentir utile ailleurs et autrement. »

 

Le fait de se concentrer sur l’existence de quelqu’un d’autre amène du sens à la vie.

 

« Je me rappelle de passer des Noël et de me dire tu t’occupes de personne. Tu t’occupes de ta personne. Peut-être que mes Noël auraient été plus intéressants s’il y avait eu des tout-petits à regarder s’émerveiller. »

 

Ne pas avoir d’enfants crée également un problème de continuité, dans le sens où personne ne continue après soi et on ne sait pas à qui transmettre notre expérience de la vie.

 

« C’est triste pour l’héritage, ce que tu vas passer, mais il y a des façons de faire. Moi mon lègue c’est le partage et la solidarité. »  

 

De plus, lorsque la vie familiale est équilibrée, elle tend à équilibrer les autres sphères d’occupations.

 

 

La vieillesse sans enfant

 

La vieillesse sans enfant peut être facilitée par l’entraide entre amis.

 

« Une bonne partie de notre réseau est gay. On dit qu’on va s’acheter une grosse maison et s’entraider. On regarde le plus jeune du groupe et on lui dit à la blague que c’est lui qui va changer les couches. »

 

Pour ce même participant, vieillir sans enfant fait naître en lui un sentiment d’injustice. Dans le sens où il n’y aura personne pour s’occuper de lui, hormis les services publics de santé et les CHSLD, qui ne sont pas rassurants. Dans le contexte de la pénurie de personnel, il craint de se retrouver auprès d’employés inexpérimentés.

 

« Je regardais ma mère lorsqu’elle était mourante dans un centre de réadaptation. C’était pendant la pandémie. Elle avait un sac pour ses selles, elle était complètement perdue, elle arrachait le sac. Les préposées rentraient dans sa chambre, deux jeunes filles de 19 ans, elles figeaient. Elles n’étaient pas prêtes et ne savaient pas comment gérer la situation. Ma mère était entre leurs mains. Ça n’a pas de bon sens. »  

 

Le fait de trouver un moyen de mettre fin à ses jours a été évoqué afin d’éviter de se retrouver dans une situation qui n’a pas de sens.

 

Pour ce même participant, seul le fait de croiser une bonne âme, et de se retrouver dans le bon centre au bon moment lui donne l’espoir d’une vieillesse épanouie.

 

D’autre part, ce participant craint aussi les pertes cognitives associées au vieillissement : « J’utilise l’application one safe pour tous mes comptes web et mes mots de passe. Je vis avec un geek. Donc il n’y a pas une ampoule qui ne parle pas avec une autre ampoule. Il y a des mises à jour à faire. On va faire quoi quand on va être sénile ? »

 

Quand on a pas d’enfant, on ne peut ainsi pas les appeler pour pallier à nos difficultés cognitives.

 

Lorsqu’on n’a pas d’enfants, on doit aussi avoir un exécutant testamentaire : « Une nièce du bord à ma femme et une nièce de mon bord. »

 

 

Définir autrement le sens de sa vie

 

Puisqu’il n’a pas eu d’enfant, un participant a décidé de militer politiquement et de faire du bénévolat. Il essaie sans cesse d’être une meilleure personne.

 

« J’ai cette mentalité que plus on devient une meilleure personne, plus on rayonne auprès des gens autour. C’est un mantra que je me dis. »

 

Il a aussi voyagé, va au théâtre et regarde des spectacles de danse. Il s’est fait des amis à travers la vie culturelle. Il fait de la peinture et aimerait un jour organiser un vernissage.

 

« Quand je peins, je sais que je suis bien. Je suis sur mon X. »   

 

Un second participant a défini le sens de sa vie par le travail (notamment en entreprise d’insertion, garderie), l’implication sociale (Association québécoise des droits des retraités, Mouvement Environnement Ahuntsic-Cartierville) et les études (théologie, pastorale sociale, histoire italienne).

 

Pour le troisième participant, le travail et le sport donnent un sens à sa vie.

 

Ce qui est intéressant, c’est que pour deux participants, la spiritualité les aide à donner du sens à leur vie. La spiritualité les aide à ne pas rester à la surface des choses.

 

« Aujourd’hui, la spiritualité ce n’est plus la bondieuserie. C’est vraiment donner un sens à ta vie. Je vais à la messe, je prends ce que j’ai besoin, l’eucharistie, le recueillement, la prière. »

 

Un participant affirme qu’il lit un livre du moine bouddhiste Mathieu Ricard et que cela lui fait beaucoup de bien. C’est doux, sage et cohérent.

 

« En vieillissant, je me rends compte que c’est très important, que tu sois catho ou laïque, que tu sois cohérent. Dis ce que tu penses et fais ce que tu dis. » 

 

Le troisième participant s’implique quant à lui comme marguiller dans une église : « On est catholiques pratiquants et on va à la messe. »

 

 

Le réseau de soutien

 

Le fait de cultiver un bon réseau de soutien aide à envisager plus sereinement la vieillesse sans enfant. Cela peut être le conjoint, des amis proches et un peu moins proches.

 

Lorsqu’on n’a pas d’enfant, le conjoint occupe une part importante du soutien :

 

« La relation avec mon conjoint est un aspect hyper positif dans ma vie, mais s’il lui arrive quelque chose, je suis dans la merde. »

 

Par ailleurs, on peut très bien avoir un bon réseau de soutien autour de nous, mais ne pas aller demander ce soutien lors de moments difficiles.

 

Pour le second participant, l’amour de sa femme est un soutien essentiel : « Le fait de ne pas avoir d’enfants n’est pas un obstacle à notre amour. Elle m’a toujours regardé dans ce que je peux faire, mon potentiel, et ça c’est incroyable. »

 

Il y a aussi sa famille proche (frère, sœur, neveux et nièces) sur laquelle il peut compter, ainsi que son voisinage très solidaire.

 

« Ma ruelle s’appelle la ruelle de l’amitié. On est quatre-vingt à s’être donné nos courriels. Donc on s’échange des services, on fait le ménage du printemps, on fait une épluchette de blé d’inde, on fait une parade à la Saint-Jean-Baptiste avec les enfants. Il y a une cinquantaine d’enfants. C’est vraiment en campagne ici. C’est vraiment une qualité de vie ici dans la ruelle. Et ce qui est le fun c’est que ce n’est pas envahissant. »   

 

Pour le troisième participant, sa famille et celle de sa femme lui procurent un soutien moral important, ce qui pallie en quelque sorte à l’absence d’enfant.

 

« On prend le téléphone, comment ça va ? On sort, on va chez ma belle-sœur, on prend un petit apéro ensembles. »

 

 

La présence d’enfants significatifs

 

Un participant dit ne pas avoir de tout-petits dans son entourage. Ce sont plutôt quelques enfants qui ont grandi, qui sont maintenant de jeunes adultes (neveux, enfants d’amis). Avec les neveux de son conjoint, il a du plaisir et rit beaucoup. Il a de bons contacts et élabore des projets avec eux (voyages, randonnées pédestre, camping, soupers).

 

Ces relations sont significatives pour ce participant et lui apporte un sentiment d’utilité :

 

« Le neveu de mon conjoint m’écrit un texto la nuit pour me dire tu es le seul avec qui je peux parler. Est-ce que je peux t’appeler ? Ça m’a vraiment touché. Je me suis rendu compte que j’étais important pour quelqu’un. »   

 

Le second participant, qui a beaucoup travaillé avec les jeunes, se dit très à l’aise avec les enfants. Son neveu, la femme de ce dernier et leurs trois enfants sont significatifs pour lui mais la covid a nettement restreint ses contacts avec eux. Il y a aussi les neveux de sa conjointe, qui sont maintenant de jeunes adultes.

 

Pour le troisième participant, bien que l’absence d’enfants crée un vide, la présence de neveux et nièces met un baume sur cette blessure.

 

« J’ai des neveux, je les prends comme mes enfants. Ils viennent dormir ici. On sort ensembles. J’ai même un neveu qui est très attaché à nous. »

 

 

Ou encore

 

« J’ai une nièce qui vient toutes les deux semaines. Elle apporte son jeu d’échec. Elle me dit viens je vais te montrer comment jouer aux échecs. Ils sont vraiment adorables. La petite, elle m’appelle le méchant loup. »

 

 

Des hommes sans enfant inspirants

 

Un participant admire son frère, qui n’a pas eu d’enfants biologiques mais qui s’est toujours occupé des enfants de ses blondes.

 

« Ce n’est pas directement ses enfants mais ça n’empêche pas qu’il leur donne de l’affection, du soutien et de l’encadrement. Je trouve ça admirable. »

 

Au niveau de la société, ce participant admire Michel Tremblay. Sans enfant, ce dramaturge québécois a énormément contribué au niveau théâtral et littéraire.

 

Hormis Jésus et Mathieu Ricard, le deuxième participant n’admire pas d’hommes célibataires sans enfant.

 

Le troisième participant admire quant à lui le président français Emmanuel Macron. Nonobstant la question d’être sans enfant, il est d’avis qu’il y a beaucoup d’hommes seuls et que la société doit les aider.

 

 

La place de l’homme âgé sans enfant au sein de la société

 

Selon un participant, on ne devrait pas seulement valoriser les gens qui ont des enfants.

 

« Je n’aime pas quand on parle des valeurs de la famille. La fête de la famille, mon chum et moi est-ce qu’on est une famille ? Est-ce qu’on peut aller au parc ? Ça exclut certaines personnes. La fête de la famille, qui a le droit d’y aller et de ne pas y aller ? L’homme vieillissant qui n’a pas d’enfant qui s’en irait au parc à la fête de la famille, je ne sais pas si on le regarderait de travers. Que fait-il là ? C’est quoi une famille ? »

 

Le second participant juge aussi que les hommes âgés sans enfant devraient être plus valorisés, entre autres dans les églises.

 

« Dans les églises c’est surtout pour les familles, mais les célibataires c’est zéro. Pourtant, leurs églises sont remplies de célibataires. Mais ils n’en parlent pas. Oui je pense que ça pourrait être plus mis à l’honneur. »

 

 

L’aspect culturel

 

D’autre part, j’ai constaté que pour le participant immigrant, le fait de ne pas avoir eu d’enfant est un peu tabou. En effet, il n’ose pas trop aborder ce sujet avec sa femme car il ne veut pas la blesser. J’émets l’hypothèse que cette réserve est moins présente chez les québécois non-immigrants.

 

 

Conclusion

 

Les raisons de la non-paternité sont multiples. Dans la plupart des cas, comme pour les femmes, un deuil est à faire à moins que ce ne soit un choix.

 

Il y a autant d’avantages que d’inconvénients au fait de ne pas avoir d’enfants. La vieillesse est néanmoins un inconvénient important.

 

Les trois participants interviewés ont tous trouvé à leur façon des moyens autres pour donner un sens à leur vie. La spiritualité est centrale dans la vie de deux participants.

 

Somme toute, les trois participants sont bien entourés, et notamment les neveux et nièces jouent un rôle clé, mais ce n’est pas nécessairement le cas pour tous les hommes sans enfants.

 

Selon un participant, les hommes sans enfants devraient bénéficier de soutien concret dans la communauté. Une sorte d’association où ils pourraient se réunir et parler entre eux.

 

Au même titre que le mouvement femme sans enfant, créé par Catherine-Emmanuelle Delisle, et qui rallie les femmes sans enfant par circonstances de la vie ou par choix.

 

Alors à quand le mouvement homme sans enfant ?