Au Québec, une personne aînée sur 5 n’a aucun proche sur qui compter. Les facteurs d’isolement chez les personnes du grand âge peuvent être le départ à la retraite, la perte de proches, les limitations physiques et cognitives, ou encore la pauvreté. Cet isolement est source de souffrance et nuit à la santé globale.
Pour remédier à cette problématique, l’organisme sans but lucratif (OSBL) les Petits Frères s’est donné pour mission de contrer l’isolement des personnes âgées seules (75 ans et plus). Actif depuis 1962, l’organisme est présent dans 12 régions du Québec et compte 95 employés.
Afin de mieux comprendre le fonctionnement et les retombées de l’organisme, j’ai interviewé le coordonnateur pour le secteur Mercier – Hochelaga-Maisonneuve, en plus d’aller à la rencontre de deux Grands Amis (aînés).
Le coordonnateur pour le secteur Mercier – Hochelaga-Maisonneuve (coordo)
Son parcours professionnel
Travailleur social de formation, le coordo a beaucoup travaillé dans le secteur communautaire, notamment en maison de jeunes, itinérance, santé mentale, toxicomanies, défense des droits des chômeurs, etc. En 2020, il a fait un stage chez les Petits Frères, y a pris goût, et a été embauché. Il affirme que les valeurs de l’OSBL sont en cohérence avec les siennes, soit le respect, l’empathie et la justice sociale.
Sa vision de la mission des Petits Frères
Selon le coordo, la mission des Petits Frères sort un peu des sentiers battus. Souvent, les organismes se concentrent sur l’aide alimentaire ou l’intervention, tandis que les Petits Frères offre aux aînés la socialisation :
« On bâtit une grosse famille autour de ces personnes. On passe par l’action bénévole pour briser l’isolement. Par le jumelage entre un bénévole et un Grand Ami et par l’organisation d’activités sociales, on veille à ce qu’il y ait toujours quelqu’un pas loin qui pense à ces personnes. »
Ses responsabilités
Les responsabilités du coordo sont le recrutement et la formation de nouveaux bénévoles de même que de s’assurer que les jumelages entre bénévoles et Grands Amis se passent bien. Le coordo fait parfois des interventions lorsque par exemple un aîné a plus de difficultés ou qu’un jumelage va moins bien. Les responsabilités du coordo sont aussi le fait d’entretenir des liens avec des partenaires locaux (ex. CLSC, résolidaire, chic resto pop) et d’être présent sur les tables de concertation de l’arrondissement.
« Ce n’est pas de l’intervention pure et dure, je n’ai pas de plan d’intervention, mais c’est de prendre des nouvelles. Je suis un facilitateur dans les situations difficiles. En général, ça va bien, je n’ai pas à faire ce type d’intervention, mais si besoin, je peux le faire. »
L’atmosphère de travail
Selon le coordo, l’équipe des Petits Frères est composée de gestionnaires et de collègues accessibles. C’est un emploi qui permet de côtoyer beaucoup de monde et il y a une belle diversité de choses à faire.
« C’est vraiment le fun. C’est un de mes premiers emplois où je me lève le matin et que je suis motivé d’aller au travail. Les collègues sont super facile d’approche. Les gestionnaires sont super transparents, super open, disponibles surtout. Donc c’est un milieu de travail qui est super positif. On a aussi de bonnes conditions de travail en général. »
Les forces de l’équipe de travail
Le coordo affirme que les gestionnaires sont très à l’écoute, très sensibles à ce que vivent leurs employés et qu’ils sont très proches du terrain. Selon lui, la principale force de l’équipe de travail est l’agilité :
« On est agile parce que s’il y a une situation complexe, on s’adapte. On parle beaucoup d’insécurité alimentaire ces temps-ci. Il y a une Grande Amie qui fait face à ce problème. On s’est demandé qu’est-ce qu’on peut faire en tant qu’organisme ? »
Le coordo soutient que les Petits Frères est un organisme ouvert pour essayer de nouvelles approches, et que dans ce sens, il fait preuve d’agilité.
Maintien en emploi
Le coordo maintient ce travail car il aime la stabilité :
« Je me vois passer ma carrière chez les Petits Frères. Je ne me vois peut-être pas rester coordo, mais il y a des possibilités de monter les échelons. »
Sentiment de compétence au travail
Il sent qu’il est un bon coordo. Concernant les aspects où il se sent moins confiant, cela est comblé par la formation (ex. formations en bureautique, sur le deuil, le vieillissement, le déplacement des bénéficiaires).
Ouverture à de nouvelles opportunités
Les Petits Frères mise beaucoup sur le potentiel de ses employés. Les études sont encouragées par l’organisme, voire payées dans la mesure où c’est une réussite. Les Petits Frères met beaucoup d’incitatifs pour que les employés développent leurs connaissances, leurs compétences et leurs habiletés. Par exemple, le coordo débutera un certificat en leadership organisationnel au HEC à la prochaine session. Il compte axer sa formation sur les OBNL.
« C’est important de nommer nos ambitions. Je ne suis pas pressé mais un poste de gestionnaire c’est ce que je vise. Je fais mes preuves sur le terrain, mais oui éventuellement c’est quelque chose que j’ai nommé qui m’intéresse. Et il y a de l’intérêt de mes gestionnaires à me voir cheminer. »
Fier d’un accomplissement
Le coordo est fier d’avoir contribué au fait que le nombre de personnes accompagnées dans le secteur Mercier – Hochelaga-Maisonneuve a doublé depuis qu’il est en poste.
« Et les bénévoles sont super contents. En général, j’ai un super bon lien avec mes bénévoles et ils me le disent. »
Un défi
Le coordo est parfois témoin de situations de détresse et de mal-être vécues par les Grands Amis. Il essaie de mettre en place des ressources pour les aider, mais soit les ressources n’existent pas, il y a de l’attente ou il n’y a pas de disponibilités.
« Il y a des aînés qui m’appellent. Peux-tu venir enlever les coquerelles de chez moi ? C’est des situations extrêmement difficiles, on essaie de pallier, mais on ne peut pas tout faire. Il faut que je réfère, et même si je fais une référence, ce n’est pas assuré qu’il va y avoir un suivi. Il y a des situations où on se sent impuissant. »
Un lot dans le cimetière Côte-des-neiges
Le coordo affirme que les Petits Frères pensent aux Grands Amis jusqu’au bout et même après. L’organisme possède un lot au cimetière Côte-des-neiges et aide les personnes qui n’ont pas de dispositions funéraires.
Le financement de l’organisme
Les Petits Frères s’est doté d’un département de philanthropie. Avec un budget annuel de 6 millions de dollars, l’organisme reçoit une subvention par année (15% du budget) et bénéficie des profits de la boutique des Petits Frères (15% du budget). Les Petits Frères organise des campagnes annuelles de financement ; il y a des fondations privées qui sont sollicitées ; il y a des personnes qui font des dons via leur succession. Tout compte fait, le financement privé donne une bonne marge de manœuvre à l’organisme.
Un Grand Ami (X)
Son histoire de vie
X, un franco-ontarien, est âgé de 85 ans. Après le décès de sa mère alors qu’il est au début de la vingtaine, il entre chez les Pères Oblats. Il y a étudié la théologie et la philosophie, et a arrêté ses études juste avant la prêtrise. Il a ensuite travaillé à l’Office de techniques des diffusions nationales de même qu’à l’Office national du film du Canada. Il est par la suite devenu agent immobilier, ce qui l’a amené à voyager. Il est retraité depuis l’âge de 60 ans. Au niveau relationnel, il est célibataire. Il est membre des Petits Frères depuis 7 ans. Au niveau du quotidien, c’est surtout les visites qui l’occupent.
Ce qu’il aime des Petits Frères
X a connu les Petits Frères grâce à un ami. Il est d’avis que les Petits Frères est une nécessité parmi la communauté des aînés.
Il aime beaucoup aller à Oka, un centre de villégiature pour les Grands Amis et les bénévoles.
« Oka me permet de rencontrer du monde et de me sortir de mon isolement. »
X bénéficie également de l’aide d’un bénévole des Petits Frères (ex. couper ses cheveux, conduire à ses rendez-vous, etc.). Ils aiment jaser ensembles.
« Je suis chanceux, j’ai quelqu’un des Petits Frères qui s’occupe de moi. »
Ce qui serait à améliorer au sein des Petits Frères
X dit qu’il n’est cependant pas officiellement jumelé avec ce bénévole car ce dernier veut s’occuper d’autres personnes en même temps.
« Je suis jumelé mais je ne suis pas jumelé. »
D’autre part, les activités de groupe manquent à X : « On a plus les occasions qu’on avait avant de se rencontrer et de fraterniser. »
Il aimerait remplacer la formule café-dessert au siège social par un repas complet (comme c’était le cas avant) :
« Contrairement au café-dessert, avec les repas, on a réellement la chance de jaser avec le monde. Et on a la chance d’être jumelé avec quelqu’un à ce moment-là. »
Une Grande Amie (Y)
Son histoire de vie
Y est une dame de 96 ans. Elle a commencé à étudier la musique à un très jeune âge. La musique a toujours fait partie de sa vie. Elle enseigne actuellement le piano à 3 élèves.
« Si la musique n’avait pas existé dans ma vie, j’ai l’impression que j’aurais été à la dérive. Parce que j’ai eu beaucoup d’épreuves dans ma vie. Alors c’est ça qui m’a énormément aidé, parce que la musique c’est une nourriture pour l’âme et le corps. C’est aussi ce qui nourrit ma vieillesse. »
Y a obtenu son lauréat en piano de l’académie de musique de Québec. En plus de donner des cours privés de piano, elle a travaillé 7 ans en notariat pour son père. Elle a aussi été secrétaire médicale au bloc opératoire de l’hôpital Sacré-Cœur. Ensuite, elle s’est mariée et a eu sa fille, qui est née avec un handicap physique.
« Quand elle est née, je me demandais qu’est-ce que je vais faire ? Aujourd’hui je me demande qu’est-ce que je ferais sans elle. » Sa fille a réussi à surmonter son handicap et a fait de grandes études (doctorat en droit).
« Je pense bien que le bon dieu nous donne la force, elle conduit son auto, elle est très autonome, elle a voyagé à travers le monde. »
Y affirme qu’elle vit une belle période de sa vie et que celle-ci est bien organisée. Une journée elle fait une activité, le lendemain elle se repose, c’est de cette façon qu’elle garde son équilibre.
La pandémie
C’est la pandémie qui a amené Y à cogner à la porte des Petits Frères. Elle se sentait très seule. Durant cette période, les Petits Frères lui téléphonait une fois par semaine et lui envoyait un beau texte.
Son jumelage avec une bénévole
Y a une très bonne relation avec sa bénévole, qui lui apporte une aide morale : « Les Petits Frères m’ont envoyé une bénévole, une française au début de la cinquantaine, une marathonienne. Elle est tellement agréable et extraordinaire cette personne-là. »
Les deux femmes se voient une fois par semaine (bientôt une fois aux deux semaines), elles jouent au scrabble ensemble : « Parce que moi mes méninges c’est important, il faut que je les fasse travailler. » Elles discutent de toutes sortes de choses comme les événements mondiaux. De plus, Y enseigne gratuitement le piano à sa bénévole.
Les activités de groupe
Y a participé à un brunch pour Pâques, une activité qu’elle a appréciée. Elle a aussi aimé assister à des conférences-témoignages dans une école.
En fait, Y aimerait que les Petits Frères organisent plus de rencontres en groupe avec des sujets de discussion à chaque fois.
Conclusion
Les Petits Frères offre aux aînés la socialisation et permet de briser leur isolement.
Le coordonnateur dans Mercier – Hochelaga-Maisonneuve s’assure que les jumelages entre bénévoles et Grands Amis se passent bien. Il rapporte une belle ambiance de travail et une équipe dotée de bonnes capacités d’adaptation. Il est fier que le nombre de Grands Amis a doublé dans son secteur depuis qu’il est en poste. Il se voit faire sa carrière chez les Petits Frères en ayant l’ambition de devenir gestionnaire. Il trouve parfois difficile d’être témoin de situations de détresse vécues par les Grands Amis.
Selon le Grand Ami X, les Petits Frères est une nécessité pour la communauté des aînés. Il affectionne particulièrement le centre de villégiature à Oka, où il a l’occasion de briser son isolement. Il serait pertinent de clarifier le jumelage de X, qui n’est pas complètement satisfaisant. Par ailleurs, le jumelage entre Y et sa bénévole est très réussi. Enfin, les deux Grands Amis aimeraient que plus d’activités de groupe soient organisées.