Avant les années 1960, au Québec, le destin des personnes ayant des défis de santé mentale était la réclusion, parfois à vie, dans les grandes institutions psychiatriques. Ce sont les ordres religieux qui géraient les asiles et recevaient de l’aide de l’État en l’absence presque totale de professionnels de la santé.

 

 

Les années 1960

 

En 1961, Jean-Charles Pagé, ex-patient de l’hôpital Saint-Jean-de-Dieu, publie le livre Les fous crient au secours. Dans son livre, il décrit les piètres conditions de vie, l’usage des électrochocs, de la camisole de force et de l’isolement. Pagé dénonce l’administration des lieux par les religieuses et la difficulté d’obtenir un réel suivi thérapeutique. La postface est écrite par le Dr Camille Laurin, psychiatre et par la suite homme politique, qui abonde dans le sens du témoignage de Pagé. Le livre provoque un tollé à sa sortie et une vaste campagne médiatique est lancée afin de moderniser les soins psychiatriques au Québec.

 

En effet, moins d’un mois après la parution du livre, le gouvernement de Jean Lesage met sur pied la Commission sur les hôpitaux psychiatriques dirigée par le Dr Bédard, qui propose un changement profond du modèle asilaire.

 

 

Les années 1970

 

Les années 1970 sont marquées par une première vague de désinstitutionalisation, qui implique de déplacer un grand nombre de patients des asiles vers des établissements plus petits dans la communauté. On veut aussi réduire le temps des hospitalisations et le nombre de lits des grands hôpitaux psychiatriques. La mise en place de départements de psychiatrie dans les hôpitaux généraux est la mesure principale pour décentraliser les services et les rapprocher des citoyens. On augmente aussi le nombre et la diversité des professionnels formés pour travailler dans le réseau psychiatrique. Les hôpitaux psychiatriques sont achetés par le gouvernement aux ordres religieux.

 

 

Entre 1970 et 1975, c’est l’époque de la réforme Castonguay-Nepveu, une réforme des services de santé et des services sociaux. Cette réforme apporte la reconnaissance du droit à la santé, l’adoption de la Loi sur la protection du malade mental (1972) et la création des Centres locaux de services communautaires à vocation psychosociale (CLSC) (1974). La Loi sur la protection du malade mental de 1972 passe de l’exclusion à la protection. Elle régule l’hospitalisation involontaire en la limitant à : « la personne considérée dangereuse pour elle-même ou pour autrui ». L’imposition d’une mesure de cure fermée implique le recours à une ordonnance de la Cour et la nécessité de deux certificats médicaux, et cette mesure est rendue obligatoire.

Malgré ces réformes, la situation des personnes vivant avec des problèmes de santé mentale est très difficile. À l’intérieur des asiles, on y décrit des pratiques « inhumaines », des « atrocités ordinaires », des « électrochocs à froid », l’utilisation de la contention, les surdoses de médicaments, les longs internements avec peu ou pas de suivi médical et les « grandes difficultés de communication avec les psychiatres ».

 

Les CLSC récemment implantés sont réticents à donner des services de première ligne en santé mentale. Sauf quelques exceptions, il faudra attendre le Plan d’action en santé mentale de 2005 pour que le gouvernement impose la création de services en santé mentale dans la communauté.

 

 

La fin des années 1970 et le début des années 1980

 

À la fin des années 1970, les ressources alternatives, les groupes d’entraide et de défense des droits commencent à échanger des expériences pour se regrouper et donnent naissance, en 1983, au Regroupement des ressources alternatives en santé mentale du Québec (RRASMQ). La mission du RRASMQ (1983) vise plusieurs objectifs, dont : promouvoir et défendre les droits et intérêts des personnes psychiatrisées et des personnes qui vivent des problèmes émotionnels et psychologiques ; favoriser les changements dans les lois ; dénoncer les abus de la psychiatrie traditionnelle et de toute technique de contrôle comportemental ; lutter contre les préjugés sur la « folie » et pour le droit d’être différent ; promouvoir la création et le maintien de ressources suffisantes et adéquates en dehors du cadre traditionnel.

 

 

Les années 1980

 

Au début des années 1980, on vise à imposer les voix des personnes psychiatrisées dans les instances publiques où s’élaborent des politiques « là où les décisions se prennent ».

 

Des organismes communautaires en santé mentale s’engagent très activement dans les réformes législatives de l’époque, notamment dans la réforme du Code civil. Ils visent la protection des droits des personnes vivant avec des problèmes de santé et s’allient à d’autres groupes minorisés, notamment les personnes vivant avec des handicaps physiques. La priorité est d’harmoniser les dispositions du Code civil à la Charte québécoise des droits et libertés et à la Charte canadienne des droits et libertés.

 

Les groupes de défense des droits en santé mentale mènent plusieurs actions de front : le droit au consentement aux soins, les limites et la régulation de l’utilisation de la garde en établissement non volontaire et de l’utilisation des mesures d’isolement, de contrôle, de contention physique et chimique, et finalement les règles qui régissent la déclaration d’incapacité et la curatelle publique.

 

Les groupes de défense des droits jouent un rôle central pour documenter rigoureusement les abus et l’absence de reconnaissance des droits dans les institutions. Ils initient ou soutiennent des poursuites judiciaires qui amènent des changements aux lois concernant la protection des personnes vivant avec des défis de santé mentale.

 

L’indignation face aux conditions de vie dans les asiles, le projet de désinstitutionalisation et le désir de créer des services accessibles dans la communauté sont partagés par un bon nombre de fonctionnaires et de professionnels de la santé. Même si les résistances sont importantes, la voix des personnes psychiatrisées et une conception des droits et des pratiques en dehors des asiles trouvent du soutien pour se consolider. Les acteurs qui soutiennent les changements de l’intérieur du gouvernement s’appuient sur l’action des groupes de défense des droits et des ressources alternatives.

 

Au ministère de la santé, certains fonctionnaires reconnaissent la rigueur du travail critique réalisé par le mouvement alternatif et de défense des droits. Cela facilite l’obtention de financement pour les initiatives communautaires.

 

 

La Politique de santé mentale du Québec (1989)

 

En 1989, est créée la Politique en santé mentale du Québec. Cette politique place la personne au centre des services en santé mentale et propose un partenariat élargi entre la personne, ses proches, les services publics de santé mentale et les organisations communautaires. Elle reconnaît et assure le financement des groupes d’entraide, met en place des organismes de défense des droits et des comités de bénéficiaires dans les établissements psychiatriques.

 

 

Les années 1990

 

Suite à l’adoption de la Politique de la santé mentale du Québec (1989), des groupes régionaux de promotion et de défense des droits sont implantés et naît, en 1990, l’Association des groupes d’intervention en défense de droits en santé mentale du Québec (AGIDD-SMQ). Ces groupes assurent l’accompagnement individuel, la formation sur les droits et recours des personnes vivant avec un problème de santé mentale.

 

L’AGIDD-SMQ met de l’avant les valeurs fondamentales communes qui soutiennent les pratiques de ses groupes membres, notamment la justice sociale et le principe du préjugé favorable qui implique de donner la crédibilité à la personne et à ses plaintes pour l’accompagner dans la défense de ses droits. La vision globale de la personne et l’appropriation du pouvoir font partie des valeurs centrales des groupes de défense des droits et des ressources alternatives.

 

En 1996, monsieur Rochon, ministre de la santé et des services sociaux, dépose le projet de loi 39 ayant pour titre initial Loi sur la protection des personnes atteintes de maladie mentale, qui modifie la Loi de 1972. Le ministre vise ainsi à établir un meilleur équilibre entre les droits des personnes vivant avec un problème de santé mentale et les droits de la collectivité et de la sécurité de la population. Suite à des mobilisations, c’est devenu la Loi sur la protection des personnes dont l’état mental présente un danger pour elles-mêmes ou pour autrui. Ces nouvelles dispositions législatives préviennent l’amalgame entre dangerosité et maladie mentale. Dit autrement, une personne peut être dangereuse sans avoir de maladie mentale.

 

Les années 1990 sont marquées par une participation accrue des personnes ayant des défis de santé mentale au sein des groupes de défense des droits et des ressources alternatives. Elles prennent de plus en plus de place dans les colloques et les consultations publiques. Les ressources alternatives les forment et les préparent pour qu’elles participent aux comités gouvernementaux et aux commissions publiques. Leurs expériences sont valorisées : elles sont souvent embauchées à titre d’intervenants ou de formateurs.

 

 

Les années 2000

 

À partir de 2003, le gouvernement Charest, dans une optique de réduction de la taille de l’État, propose une réforme majeure du système de santé et des services sociaux. On vise, entre autres, à éliminer les Agences régionales de la santé et des services sociaux, organes de planification publique régionale. Le gouvernement libéral de Jean Charest abolit le Comité de la santé mentale du Québec (CSMQ), qui avait joué un rôle dans la réflexion et les concertations publiques pour la désinstitutionalisation et dans l’élaboration de propositions du mouvement communautaire. En 2004, 95 centres de santé et de services sociaux (CSSS) sont constitués à travers la province, et ce en fusionnant les CHSLD, les centres hospitaliers et les CLSC.

 

En 2005, le gouvernement Charest élabore un nouveau Plan d’action pour la période 2005-2010, intitulé La force des liens. Ce plan d’action maintient le principe de l’appropriation du pouvoir et introduit la participation des personnes directement concernées au cœur de ses orientations. Il accorde notamment une priorité au rétablissement de la personne dans sa globalité et reconnaît aux personnes vivant avec un problème de santé mentale la capacité de faire des choix et de participer activement aux décisions qui les concernent.

 

Le Plan d’action met en place des équipes de santé mentale de première ligne et des équipes de suivi dans la communauté pour les personnes vivant avec des problèmes graves et persistants en santé mentale. Les organismes communautaires contribuent à l’atteinte des objectifs du Plan d’action dans une perspective de complémentarité des services.

 

En 2007, est créé les Porte-Voix du rétablissement par les personnes utilisatrices Luc Vigneault, Nathalie Lagueux et Véronique Bizier. Les priorités de cette association nationale étaient l’intégration du savoir expérientiel dans les équipes traitantes, l’entraide entre pairs, la GAM (Gestion autonome de la médication), l’approche par les forces, l’approche axée sur le rétablissement et la lutte contre la stigmatisation.

 

Gestion autonome de la médication

 

Le but de la Gestion autonome de la médication en santé mentale est de permettre à la personne qui prend des médicaments de se rapprocher d’une médication qui lui convient et qui s’intègre dans une démarche plus large d’amélioration de son mieux-être et de reprise de pouvoir sur sa vie.

 

 

L’approche axée sur le rétablissement

 

Dans l’approche axée sur le rétablissement, les droits des personnes aux prises avec un problème de santé mentale occupent une place centrale. On insiste ainsi pour reconnaître à chaque personne : 1) le droit d’avoir ses propres objectifs personnels et de faire ses choix de vie ; 2) le droit de participer à l’élaboration de son plan de services individualisé ; 3) le droit de recevoir de l’information sur sa maladie et sur les effets secondaires de la médication ; 4) le droit de refuser des traitements ; 5) le droit d’être traitée avec respect, dignité et compassion.

 

Les services orientés vers le rétablissement se réfèrent à des services offerts directement dans le milieu de vie des personnes, déterminés en fonction de leurs objectifs personnels et fondés sur des relations égalitaires et de soutien. En mettant l’accent sur les droits et les responsabilités des personnes, le rétablissement transforme tout autant leur perception de soi que la façon dont les services sont prodigués. Partout dans le monde, le concept du rétablissement et l’importance du pouvoir d’agir des personnes atteintes sont de plus en plus reconnus comme principes directeurs dans l’élaboration des systèmes de soins de santé mentale. En fondant son plan d’action sur ces principes, le Québec adopte une approche respectueuse de la personne et encourage sa participation à la société.

 

 

Le Plan d’action en santé mentale (PASM) 2015-2020

 

Le Plan d’action en santé mentale Faire ensemble et autrement a pour objectif de permettre un accès continu à des services variés en santé mentale, notamment par la mise en œuvre de services de première ligne et l’instauration de nouveaux modes de collaboration entre les établissements et les acteurs concernés.

 

Il s’inscrit en continuité du plan d’action précédent en santé mentale La force des liens. Le PASM 2015-2020 repose sur la collaboration interdisciplinaire et intersectorielle. Il vise également la promotion de la santé mentale et la prévention des troubles mentaux et du suicide. Les orientations du PASM sont : 1) promouvoir la primauté de la personne et le plein exercice de sa citoyenneté ; 2) assurer des soins et des services adaptés aux jeunes, de la naissance à l’âge adulte ; favoriser des pratiques cliniques et de gestion qui améliorent l’expérience de soins ; assurer la performance et l’amélioration continue des soins et des services de santé mentale.

 

 

Conclusion

 

Avant les années 1960, au Québec, le destin des personnes ayant des défis de santé mentale était la réclusion dans les grands hôpitaux psychiatriques. Les années 1960 sont marquées par une profonde remise en question du modèle asilaire. Durant les années 1970, c’est le début de la désinstitutionalisation et l’époque de la réforme Castonguay-Nepveu. Au début des années 1980, on vise à imposer la voix des personnes psychiatrisées dans les instances publiques où s’élaborent les politiques. Vers la fin des années 1980, est créée la Politique en santé mentale du Québec, qui place la personne au centre des services en santé mentale.

 

Les années 1990 sont marquées par une participation accrue des personnes ayant des défis de santé mentale au sein des groupes de défense des droits et des ressources alternatives. Au cours des années 2000, le Plan d’action La force des liens est élaboré, suivi du Plan d’action Faire ensemble et autrement. L’approche axée sur le rétablissement caractérise les années 2000, approche où les droits des personnes aux prises avec un problème de santé mentale occupent une place centrale.

 

Tout compte fait, en près de 60 ans, au Québec, les personnes ayant des défis de santé mentale sont passées d’une position de dépendance vis-à-vis des hôpitaux psychiatriques à une réappropriation du pouvoir sur leur vie.