À l’âge de 30 ans, le sol s’est dérobé sous mes pieds : j’ai fait un épisode de manie psychotique. Alors que mes amies commençaient à fonder une famille, moi j’héritais d’une maladie mentale ! Je ne pouvais faire autrement que de me comparer à elles, à ce qu’elles avaient et que je n’avais pas. J’ai alors commencé à m’éloigner de mes amies et à vouloir être avec des personnes qui vivaient la même chose que moi.

 

Des personnes qui vivaient la même chose que moi


Lors de cet épisode, ma gestionnaire de cas m’a présenté à H, une brillante étudiante au doctorat en génie à l’ÉTS. Celle-ci venait de faire une dépression psychotique. Nous vivions des défis similaires, comme le choc d’être suivie en psychiatrie ou encore les effets des médicaments psychotropes. Nous avions pris l’habitude de nous rencontrer au Cha noir, un salon de thé coquet de la rue Wellington à Verdun. Nous discutions de santé mentale, de notre réseau social de même que de nos projets et occupations. Puis H a eu deux enfants et a réussi à obtenir un emploi en génie. Pendant cette période, j’ai eu la malchance de faire d’autres épisodes, ce qui fait que je me suis éloignée de H. Ce n’est que récemment que j’ai repris contact avec H, avec qui je vais occasionnellement prendre un café.

 

Suite à un autre épisode de bipolarité, je vivais beaucoup d’anxiété, notamment de l’anxiété sociale. Une intervenante du centre de crise l’autre-maison m’a alors suggéré d’intégrer un groupe de soutien au CLSC avec l’organisme Phobies-zéro. Un jour, après le groupe, une participante, J, elle aussi atteinte d’un trouble bipolaire, s’est approchée de moi et m’a demandé mon numéro de téléphone. C’était le début de notre amitié. J est une amie à qui je peux tout dire, il n’y a pas de tabous. Nous avons beaucoup d’échanges concernant notre santé mentale et notre situation de femmes sans enfant. À un moment donné, nous voulions réaliser un projet ensemble (offrir une formation en ligne sur l’expérience de la psychose) mais finalement nous n’avons pas concrétisé notre idée. Avec J, j’aime organiser des soupers, aller dans des cafés, me promener, faire des sorties au marché, nager, etc. Lors de mon dernier épisode de manie, j’ai cessé soudainement de la voir, puis nous avons repris contact par la suite.

 

 

Lors de mon rétablissement, il y a eu une période où je ne travaillais pas et où j’avais créé un blogue personnel sur la santé mentale. Li, une usagère de services en santé mentale, avait commencé à s’intéresser à mes articles et c’est dans ce contexte que nous avons débuté une correspondance en ligne. Puis, nous avons décidé de nous rencontrer et de faire de petites sorties comme aller au restaurant. Avec Li, je peux échanger sans tabou à propos de santé mentale et même à propos de détails concernant la psychose et les symptômes. Nous nous entraidons et nous supportons moralement face aux défis et difficultés que nous rencontrons. Nous discutons également à propos d’outils facilitant notre rétablissement.

 

Depuis que je travaille chez Groupe Innova, j’ai eu la chance de rencontrer S, ma collègue de bureau, qui vit elle aussi avec un trouble de santé mentale. Au fil du temps, nous avons développé une complicité et nous sommes au courant de nos vies personnelles respectives. Le contexte du travail nous permet ainsi de nous soutenir dans ce que l’on vit en dehors du travail. Depuis quelque temps, nous avons pris l’habitude de souper au restaurant ensemble chaque jeudi. Cela crée une stabilité dans notre routine, un élément important pour préserver une stabilité psychique.

 

La manie et la dépression sont destructeurs au niveau de l’amitié

Les épisodes maniaques sont destructeurs au niveau de l’amitié. En effet, en état de manie, la confiance en soi est débordante et on se croit supérieur aux autres, ce qui nous pousse à changer radicalement de réseau social. Les épisodes dépressifs sont également destructeurs au niveau de l’amitié. En état de dépression, la confiance en soi est à zéro et on se croit inférieur aux autres, ce qui fait qu’on initie moins de contacts avec les autres et on cesse de répondre aux appels de ses amis. La manie et la dépression ont ainsi mis à rude épreuve plusieurs de mes amitiés.

 

 

Une relation qui a grandement souffert de mes hauts et mes bas

 

Une relation qui a grandement souffert de mes hauts et mes bas est mon amitié avec C. J’ai rencontré C pour la première fois lors d’un programme d’échange étudiant à Winnipeg entre le secondaire et le cégep. C et moi travaillions dans une maison de jeune dans un quartier défavorisé de Winnipeg. En revenant de Winnipeg, j’ai développé une relation approfondie et une grande complicité avec C. Je connaissais très bien son père, sa mère et son frère. Elle aussi connaissait très bien ma famille. C et moi avons fait de la randonnée pédestre dans les Adirondacks aux États-Unis. C m’a aussi accompagnée lors d’un voyage chez ma tante en Colombie-Britannique. C a toujours été là pour moi dans les moments difficiles, comme lorsque je me suis faite opérer au dos à 19 ans. J’étais même présente à l’accouchement de son premier enfant. Hélas, lorsque la bipolarité est arrivée, j’ai commencé à me comparer à elle, je constatais que nos vies prenaient des chemins très différents et je me suis éloignée d’elle. 2012 a été une année de grande dépression pour moi et j’ai cessé de répondre aux appels de C. Malgré quelques tentatives de rapprochement de part et d’autre, notre relation d’amitié a définitivement pris fin.

 

 

 

Mon ami masculin le plus significatif

 

Une autre relation qui a grandement souffert de mes hauts et mes bas est mon amitié avec L, qui est mon ami masculin le plus significatif. J’ai rencontré L pour la première fois au pavillon des sciences de l’UQÀM, alors que nous étudiions en géologie. Petit à petit, je suis devenue proche de lui ainsi que de quelques élèves dans le programme. À plusieurs reprises, nous sommes allés camper et avons fait de la randonnée pédestre dans les Adirondacks. Nous aimions sortir dans les restaurants ou les boîtes de nuit, organiser des soupers, aller dans des festivals ou encore dans des bars sportifs pour voir des matchs de soccer ou de hockey. J’aimais bien aussi aller voir L jouer au baseball. Au début de ma maladie, L m’aidait à sortir de ma coquille et à voir des gens. Je pouvais lui confier aisément ce que je vivais. Nous avons commencé à nous distancier lorsqu’il s’est fait une copine et que, plus tard, il a eu deux enfants avec elle. Lors de mon dernier épisode de manie, je suis devenue complètement désinhibée et je lui ai dit que j’étais amoureuse de lui. L a choisi de prendre ses distances et nous ne nous voyons pas depuis.

 

 

Mes amies d’ergothérapie

 

Ma relation avec mes amies d’ergothérapie a également été impactée par ma bipolarité. J’ai rencontré C, J et A à l’Université de Montréal alors que nous étudiions en ergothérapie. Nous formions une petite gang qui se regroupait pour étudier ou faire des travaux. Rapidement, nous avons commencés à nous voir en dehors de l’université. Nous faisions des soupers ou des partys chez l’une ou chez l’autre. Avec le temps, nos chums respectifs se sont joints à nous. Faire partie de ce petit groupe me donnait un sentiment d’appartenance et me donnait confiance en moi socialement. Puis, mes amies ont commencé à avoir des enfants, alors que moi je devais composer avec un problème de santé mentale. J’avais honte de ce qui m’arrivais, j’étais dépressive, et je me suis donc éloignés d’elles. Par contre, depuis que je suis plus stable psychiquement, j’ai entrepris de reprendre contact avec C, J et A. Puisque C habite dans mon secteur, nous nous voyons plus fréquemment et nous faisons toutes sortes d’activités : restaurant, baignade, hockey avec son fils, etc.

 

 

Mon amie d’enfance

 

Contrairement à la plupart de mes amitiés, ma relation avec mon amie d’enfance A a été peu affectée par les épisodes de ma maladie. J’ai rencontré A pour la première fois à la garderie communautaire de Verdun. Mon affinité avec elle a été remarquable dès le départ, et comme nous étions toutes deux enfants uniques, je la percevais comme une sœur jumelle. Non pas que nous nous ressemblions physiquement, loin de là, c’était plutôt une chimie de nos âmes, inexplicable. On se disputait certainement, et parfois même avec beaucoup d’ardeur, mais notre respect l’une pour l’autre nous poussait toujours à la réconciliation. A a été ma grande partenaire de jeu, l’amie avec qui j’ai inventé une infinité d’histoires. Nos talents dans le jeu, à l’école et dans la vie quotidienne étaient souvent complémentaires, ce qui fait qu’on établissait davantage des rapports collaboratifs plutôt que compétitifs.

 

 

Notre affinité est si grande que j’ai poursuivi ma relation d’amitié avec A à l’adolescence et à l’âge adulte. Même si nos rencontres sont plus espacées à l’âge adulte, nous avons toujours cette proximité unique entre nous. A et moi partageons aussi certains points communs : nous nous sommes toutes deux séparées après plusieurs années de vie conjugale et nous n’avons pas d’enfant. Lorsque la bipolarité est entrée dans ma vie, A m’a toujours écoutée et soutenue moralement. Par exemple, lors de mes épisodes, A m’a visité à l’hôpital et m’a aidé à surmonter mes difficultés. La seule chose que je déplore est que depuis l’avènement de ma maladie, c’est surtout A qui me soutient et non l’inverse. Notre relation est un peu moins réciproque qu’auparavant.

 

 

Un nouveau réseau social

 

Afin de pallier à la solitude résultant d’une instabilité au niveau de mes amitiés, j’ai entrepris d’élargir mon réseau social à l’aide notamment d’applications de rencontre. C’est dans ce contexte que j’ai fait la rencontre d’Am, un marocain établi au Québec depuis peu. D’une certaine façon, il y a des similitudes entre le fait de se reconstruire dans un nouveau pays et le fait de se reconstruire suite à un problème de santé mentale.

 

 

Au départ, Am et moi étions dans une relation amoureuse. Am était livreur pour Uber et donc nous passions beaucoup de temps à faire des livraisons en voiture. Puis, la relation s’est transformée en relation amicale très proche. Ensembles, nous aimons prendre un café, faire la cuisine, voir des amis ou encore sortir en boîte de nuit. Am est très sociable et il me pousse à rencontrer des gens. Il m’apprend beaucoup de choses sur la culture marocaine. De mon côté, je l’aide à mieux s’intégrer au Québec.

 

Toujours à l’aide d’applications de rencontre, je me suis fait deux amis, R, d’origine tunisienne, et I, d’origine égyptienne. Avec eux, je fais diverses sorties, comme aller me promener sur le mont Royal, nager, aller à mont Tremblant, etc. Ces amitiés sont très positives, mais je déplore de ne pas les voir plus souvent. Je souhaiterais également développer une relation plus proche avec eux.

 

D’autre part, j’ai aussi entrepris d’élargir mon réseau social en prenant une colocataire. C’est dans ce contexte que j’ai fait la rencontre de Ru, une gabonaise elle aussi établie au Québec depuis peu. Ru et moi partageons notre quotidien dans la bonne entente. Elle m’apprend des choses sur la culture africaine alors que je l’aide à mieux s’intégrer au Québec.

 

 

En conclusion : mon histoire amicale

 

En somme, plusieurs de mes amitiés ont souffert des hauts et des bas de ma maladie bipolaire. Seule ma relation avec mon amie d’enfance a été moins impactée par la maladie.

 

Au moment où je suis tombée malade, plusieurs de mes amies commençaient à fonder une famille. Je me suis mise à me comparer à elles, c’était très douloureux, de sorte que j’ai préféré m’éloigner de celles-ci pour éviter d’être confrontée chaque jour à ce que je n’avais pas. J’utilisais un mécanisme de défense pour avoir moins mal.

 

C’était alors plus facile de côtoyer des personnes vivant des situations semblables à la mienne. Nos défis étaient similaires et nous pouvions tout nous dire, sans tabou.

 

À ce jour, j’ai réussi à reprendre contact avec plusieurs de mes anciennes amies car je me déprécie moins dû fait de ne pas avoir d’enfant. J’accepte plus ma situation et je suis capable d’apprécier ma valeur même si je n’ai pas d’enfant.