Pour mon deuxième article de la série sur les aînés au parcours inspirant, j’ai choisi d’interviewer mon amie Linda, une femme résiliente de 63 ans qui doit composer simultanément avec le vieillissement et un trouble de santé mentale.

 

J’ai rencontré Linda au moment où je ne travaillais pas et où j’avais créé un blogue personnel sur la santé mentale. Linda avait commencé à s’intéresser à mes articles et c’est dans ce contexte que nous avons débuté une correspondance en ligne sur facebook. Puis, nous avons décidé de nous rencontrer et de faire de petites sorties comme aller au restaurant. Avec Linda, je peux échanger sans tabou à propos de santé mentale et même à propos de détails concernant la psychose. Nous nous entraidons et nous supportons moralement face aux défis et difficultés que nous rencontrons. Nous discutons également à propos d’outils facilitant notre rétablissement.

 

Dans cet article, je discuterai du parcours de Linda au travers des méandres de la maladie mentale. Je parlerai de sa vie amoureuse, de ses emplois, de son bénévolat, de son évolution au fil du temps et de ce dont elle est fière. Il sera aussi question de sa routine, de ses amies et de sa santé.

 

 

Les méandres de la maladie mentale  

 

Au début de sa maladie, Linda faisait une psychose à chaque année. On l’hospitalisait pour une journée ou deux et on la renvoyait chez elle avec sa prescription. Elle était psychotique chez elle et elle vivait l’enfer. C’est lors de sa troisième psychose qu’on lui diagnostique un trouble bipolaire, lequel évoluera ensuite en un trouble schizo-affectif.

 

 

Chaque fois qu’elle faisait une psychose, Linda revivait sa première psychose, c’est-à-dire qu’elle pensait que son conjoint de l’époque était en danger. Lorsqu’elle est en psychose, Linda tend à ruminer, ce qui l’empêche de dormir. Elle a l’impression d’être sous écoute et que la télévision lui envoie des messages.

 

Linda décrit la maladie mentale ainsi : « C’est comme un tourbillon, des montagnes russes, tu montes, tu descends, ce n’est pas une ligne droite. » Au final, Linda aura passé la moitié de sa vie à être hospitalisée.

 

Même si, à première vue, les psychoses peuvent être vues comme des échecs, Linda croit que les psychoses ont contribué à la personne qu’elle est aujourd’hui. En ayant fait des psychoses, elle peut mieux comprendre les gens qui souffrent : « Le fait d’être passée par là m’aide à être plus empathique avec les autres. »

 

 

Sa vie amoureuse

 

Linda a commencé à sortir avec un homme à 14 ans et avec lequel elle s’est marié à 20 ans. Quand elle l’a laissé au bout de 3 ans, elle vivait mal sa solitude et elle cherchait à le remplacer.

 

C’est à ce moment qu’elle a rencontré un partenaire qui consommait de la drogue et avec qui elle s’est mise à consommer jusqu’au moment où elle a eu son diagnostic. C’était une relation de codépendance (lorsqu’on dépend de l’approbation de quelqu’un d’autre pour se sentir bien) : « C’est une personne avec qui j’ai vécu une passion, il était ma drogue ». Un jour, ce partenaire a été arrêté et mis en prison pour 6 mois. Linda allait le visiter et c’est dans ce contexte difficile qu’elle a fait sa première psychose et que sa vie a basculée. Puis, au bout de 7 ans, elle en a eu assez de cette relation, et elle l’a laissé. Elle est allée dans un centre d’hébergement pour femmes car son ex-partenaire abusait d’elle verbalement et la rabaissait pour se remonter.

 

Ensuite, Linda a été en couple pendant 3 ans avec un 3e partenaire. Il s’agissait moins d’une relation amoureuse qu’avec les autres partenaires. Cette relation était également toxique, c’est pourquoi Linda a de nouveau fréquenté un centre d’hébergement pour femmes lorsqu’elle s’est séparée. Selon Linda, une femme qui se sous-estime et qui n’a pas confiance en elle peut attirer des hommes contrôlant et manipulateurs.

 

Finalement, Linda a rencontré R, qui est devenu son 2e mari et avec lequel elle est toujours en relation à présent. R est le partenaire de Linda depuis 30 ans. « C’est la personne qui m’a démontré le plus d’amour et qui a été le plus présent pour moi. Quand j’étais hospitalisée, il venait me voir tous les jours. Je pouvais être détestable, il savait que ce n’était pas moi, que c’était ma maladie et que je traversais une période difficile. »

 

 

« Je pouvais être debout à des heures impossibles en train de faire des choses sur l’ordinateur ou je dépensais pour des choses dont je n’avais pas vraiment besoin. Il ne disait jamais rien. »

 

« Il m’a toujours soutenu dans tout. Quand je lui ai dit que je voulais être paire aidante, il était derrière moi, il m’encourageait à me réaliser. »

 

À ce jour, R vit en CHSLD car il est atteint de la maladie d’Alzheimer. Linda s’ennuie beaucoup de sa présence. Elle l’appelle à tous les jours. Leurs conversations ne sont pas longues mais juste entendre son mari dire je t’aime fait un bien énorme. « J’ai beaucoup de gratitude qu’il se souvienne de moi. Cela pourrait être pire. »

 

Linda trouve très difficile d’être éloignée de son mari puisqu’ils se connaissent depuis 30 ans : « Je sens que je ne pourrais pas vivre avec quelqu’un d’autre parce que l’amour est encore là des deux côtés. R va toujours avoir une place importante dans ma vie même si plus tard je rencontre quelqu’un d’autre. »

 

 

Le deuil de la maternité

 

Même si elle a eu un désir d’enfant lorsqu’elle était avec son deuxième partenaire, Linda a fait le choix de ne pas en avoir. Considérant qu’elle était régulièrement hospitalisée, elle a jugé que ce n’était pas un environnement favorable pour un enfant. Le deuil de la maternité a été l’une des choses les plus dures qu’elle a traversé dans sa vie puisqu’elle rêvait de fonder une famille. Par ailleurs, Linda se dit disponible pour ses nièces, qu’elle considère comme ses filles.

 

 

Ses emplois

 

Au niveau du travail, Linda se considère chanceuse parce qu’elle s’est toujours dirigée vers des endroits où elle voulait travailler. Ainsi, elle a travaillé en santé mentale pour une ligne d’écoute de l’ADMD (aujourd’hui appelé Relief), comme animatrice-coordonnatrice d’un journal en santé mentale. Elle a aussi été secrétaire pour un organisme appelé Échange de services pour aînés ainsi que pour projet Arc, un organisme communautaire en santé mentale. Elle a travaillé comme assistante à la programmation pour Équipe Entreprise. Linda est à la retraite depuis 2011 et elle fait du bénévolat depuis cette date.

 

Malgré les montagnes russes de la maladie mentale, Linda a réussi à se tailler une place au niveau professionnel, et ce, sans l’aide d’intervenants : « Dans mon temps, il n’y avait pas d’aide des intervenants pour se trouver un emploi. On était laissés à nous-mêmes et on se faisait dire que notre maladie mentale était une fatalité. »

 

 

Son bénévolat

 

Actuellement, le bénévolat occupe une place importante dans la vie de Linda.

 

Tout d’abord, Linda fait des visites d’amitié au CHSLD près de chez elle. Elle prend plaisir à tisser des liens avec les personnes âgées. Non seulement elle leur apporte quelque chose mais les aînés aussi, de par leur vécu, lui apporte quelque chose. Lorsqu’elle fait les visites d’amitié, Linda a le sentiment du devoir accompli et elle se sent appréciée.

 

 

« J’ai de la patience auprès des personnes âgées. Quand elles me racontent leurs histoires, je me surprends à terminer leurs phrases puisque je les ai souvent entendues. »

 

Linda déplore le fait que les personnes âgées en CHSLD sont souvent laissées à elles-mêmes et elle réalise parfois que pour certains, elle est leur seule visite.

 

Deuxièmement, Linda est paire aidante bénévole auprès d’une dame âgée qui fréquente l’Institut Douglas. Quand elle est paire aidante, Linda se rend compte que la personne a en elle la réponse à toutes ses questions. Linda agit ainsi comme un guide pour aider la personne à trouver ses réponses. Comme paire aidante, elle participe à l’évolution de la personne et elle développe une belle complicité. Même si les changements ne se produisent pas, elle garde espoir et elle rencontre la personne où elle est dans le moment présent.

 

Enfin, Linda est aussi bénévole auprès d’une personne qu’elle appelle depuis la pandémie via l’organisme Les petits frères. Bientôt, elle rencontrera pour la première fois cette personne.

 

 

Son évolution

 

Linda a longtemps eu de la difficulté à s’affirmer ; elle se sentait obligée de répondre oui. Mais avec les années, elle a appris à dire non et à plus penser à elle. Elle trouve qu’elle s’en fait moins avec l’opinion des autres : « S’ils ne sont pas contents, c’est tant pis. »

 

Elle qui était auparavant entourée de partenaires toxiques, Linda se sent aujourd’hui entourée de personnes plus positives. Avec les années, elle a appris à faire la paix avec son passé et elle ne pense presque plus à des choses négatives qui sont arrivées dans sa vie. Elle vit plus dans le moment présent et elle a appris à lâcher prise face aux choses qu’elle ne peut pas contrôler.

 

 

Ce dont elle est fière

 

Linda est fière d’avoir réussi la formation de pair aidant de l’AQRP (Association québécoise pour la réadaptation psychosociale) : « Je suis toute contente, mon certificat est affiché dans mon appartement. C’est une belle réussite. »

 

 

Mais ce dont Linda est le plus fière c’est la personne qu’elle est devenue. Avec tout ce qu’elle a traversé, elle aurait pu baisser les bras, mais elle a fait preuve de résilience et a rebondit à chaque fois. Elle n’a pas perdu espoir. Elle a de la gratitude pour ce qu’elle a : « J’ai un toit, j’ai un congélateur plein qui vient de la banque alimentaire. » Linda est aussi une personne qui cherche à s’améliorer, elle aime apprendre et s’inscrire à des cours, elle est curieuse.

 

 

Sa routine

 

À tous les jours, Linda fait de la relaxation progressive, ce qui remplace un ativan. Le soir, avant de se coucher, elle fait une méditation guidée appelée Headspace. Elle fait aussi des exercices de respiration.

 

« Avant, les attaques de panique, c’était un problème. J’étais comme une horloge, tous les dimanches je faisais une attaque de panique. L’attaque de panique pouvait durer 30 minutes ou plus. Pendant ce temps, on vit un inconfort, on a l’impression qu’on va mourir tellement c’est fort. Maintenant, avec mes outils comme les exercices de respiration, j’ai moins d’attaques de panique et je les gère mieux. »

 

Au niveau de sa routine, les lundis aux deux semaines, la personne qui fait son ménage vient chez elle. C’est sa travailleuse sociale qui a trouvé cette femme de ménage. En fait, sa travailleuse sociale l’aide beaucoup dans ses démarches administratives. Parfois, elle voit cette dernière un lundi sur deux. Les mardis, elle visite la dame de l’Institut Douglas dans le cadre de son bénévolat. Les mercredis, Linda participe à un groupe de soutien de l’AQRP en ligne. Parfois, les mercredis ou les jeudis, elle voit sa psychologue. Les vendredis ou les samedis (aux deux semaines), ce sont des journées pour visiter son mari au CHSLD. Aller le voir fait un bien énorme à Linda et à son mari. Enfin, les dimanches, elle fait des visites d’amitié au CHSLD près de chez elle. 

D’autre part, Linda regarde moins la télévision qu’avant. Elle aime la marche et s’inscrire à des formations comme apprivoiser sa solitude et l’intervention axée sur les forces. Globalement, Linda est satisfaite de sa routine. Elle prévoit lire davantage et sortir un peu plus de sa maison, notamment en planifiant des sorties avec ses amies.

 

 

Ses amies

 

Lorsqu’elle a fait des psychoses, Linda a eu de la difficulté à maintenir certaines amitiés. Néanmoins, au fil du temps, elle s’est construit un réseau d’amies de différents groupes d’âge : la nièce d’une femme qui résidait en CHSLD, une amie qu’elle a connu à l’AQRP, moi, une ancienne voisine qui habite en RPA et une personne qu’elle a connu via l’organisme Les petits frères.

 

Linda est souvent la première à appeler et à prendre les initiatives avec ses amies. Elle est satisfaite de ses relations d’amitiés, quoiqu’elle aimerait voir ses amies plus souvent et elle souhaiterait aussi élargir son cercle d’amis.

 

 

Sa santé

 

Au niveau physique, Linda fait de l’arthrite cervicale. Elle ressent aussi de la fatigue en raison des médicaments qu’elle prend. Elle dort en moyenne 11h par nuit et a de la difficulté à sortir du lit.

 

Au niveau psychique, la santé mentale de Linda va bien puisqu’elle est stabilisée maintenant. Elle bénéficie du soutien de professionnels de la santé et elle fait appel à des lignes d’écoute au besoin.

 

Au niveau cognitif, Linda ne lit pas autant qu’elle voudrait en raison d’un déficit de mémoire à court terme. Elle lit mais elle oublie ce qu’elle vient de lire ; elle ne retient pas bien l’information.

 

 

Pourquoi, selon moi, Linda est une aînée au parcours inspirant ?

 

Linda est une aînée au parcours inspirant parce qu’elle compose avec son trouble de santé mentale et le vieillissement de belle façon. Elle accepte son trouble schizo-affectif ; elle a d’ailleurs mise en place une routine pour réguler sa santé mentale. Elle accepte aussi de vieillir puisque « tout le monde passe par là ». Linda a dû user de créativité pour construire sa vie car elle ne connaissait personne qui avait un problème de santé mentale tel que le sien ; elle n’avait pas de modèle.

 

Malgré les embûches de la maladie mentale, Linda s’est réalisée professionnellement et aujourd’hui c’est à travers le bénévolat. En ayant fait plusieurs psychoses, elle comprend mieux la souffrance des gens, ce qui se reflète dans son bénévolat et auprès de ses amies.

 

Même si elle a côtoyé des partenaires toxiques, Linda est maintenant dans une relation saine avec R, et ce, depuis plusieurs années. Elle accomplit avec dévouement son rôle de proche aidante auprès de son mari.

 

Il est inspirant de constater que Linda a une force en elle qui la pousse à garder espoir malgré les nombreuses psychoses vécues. Sa formation de pair aidante l’aide à cultiver cet espoir pour elle-même et les autres.

 

 

Linda : une personne significative dans ma vie

 

Linda est une personne significative dans ma vie. Nous nous sommes liées d’amitié à un moment où j’avais besoin d’échanger avec des personnes qui vivaient avec un trouble de santé mentale. Linda m’encourage dans mes projets et elle m’aide à trouver des outils favorisant le rétablissement. Elle a ce côté maternel, doux, empathique et sans jugement : ce qui me fait du bien quand je vis des difficultés, par exemple les problèmes de santé de mon père actuellement. En ce qui me concerne, je suis aussi une oreille attentive lorsque Linda vit des situations difficiles, comme par exemple le fait que son mari soit placé en CHSLD. Pour moi, Linda est un modèle de résilience à la puissance mille.